Un livre

Sucre, journal d’une recherche

de Dorothee Elmiger

Editions Zoé

Aussi douteux que cela puisse paraître, ce que vous tenez entre les mains est bien un roman. « Essai-fiction », précise l’éditeur, le troisième d’une autrice « majeure de la jeune littérature germanophone » née à Zürich en 1985 : « Roman toutes fleurs », suggère-t-on plutôt quand, en bonne butineuse, Dorothee Elmiger semble faire son miel de tout ce qui lui tombe sous la langue : notes de lecture, citations, références, fragments de dialogues, souvenirs personnels et récits de rêve… le tout dans un désordre apparent qui tient autant du patchwork que de l’appartement fraîchement cambriolé. À la lecture, cependant, le puzzle se met doucement en place, des thèmes traversent les pages, s’éloignent pour revenir bientôt, obsessionnels : Haïti et la canne à sucre, qui est aussi sa malédiction, une vente aux enchères, où furent dispersés les biens d’un éphémère « Roi du Loto », et notamment deux statuettes représentant des femmes noires, vendues à la criée comme on vendait les esclaves à Saint-Domingue…
« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement » : ce vrai faux journal semble conçu pour mettre en échec la vieille maxime de Boileau. Ouvrant tout grand les portes des cuisines, il prétend surtout donner à voir ce qui s’écrit quand on écrit et très vite, il faut l’avouer, la forme l’emporte sur un fond qui peine à se définir. De même passera-t-on sur la cérébralité un peu vaine et somme toute assez bourgeoise d’une littérature ultra-consciente d’elle-même pour rester fasciné par le jeu complexe des reflets, le paisible égarement nocturne qu’ils procurent, tel un palais des glaces après la fermeture. Plutôt que d’une recherche, Sucre serait alors plutôt le journal d’une attente, celle d’un possible clinamen, d’une conjonction soudaine d’éléments disparates en apparence, et dont la cristallisation dépend en grande partie de la patience du lecteur.

Yann Fastier


Sucre : journal d’une recherche
Dorothee Elmiger
Traduit de l’allemand par Camille Luscher et Marina Skalova
Zoé, 264 pages, 22 €