Jean-Charles Massera, l'art contre la domination
Avec Occupy Masculinité Jean-Charles Massera fait feu de toutes voix. Les textes s’enchaînent et se répondent parfois, remplissent la page ou la vident, jouent des polices et du gras, glissent en italiques ironiques, bousculent la lecture, font rire le lecteur.
Ça peut passer pour un fatras, le contraire d’une ritournelle comme avec « Le roman mondial » qui clôt l’ouvrage et impose une lecture hallucinée où la violence du monde juxtapose tortures et crimes en un long puits de phrases sans ponctuation. Une violence dont on saisit qu’elle est la conséquence de ce que le début du livre dénonce avec force : la mâle domination. Quand Massera s’empare du féminisme c’est plus à la mode agit-prop qu’à la mode Schiappa. Usant d’une ironie mordante et empruntant tour à tour ses tonalités aux textes sacrés (« Et tu n’entreras pas aux comex, afin que tes maternités n’y soient pas découvertes »), à des phrases peut-être entendues (« Pour me protéger j’ai pris 13 kilos »), à Rimbaud, à Verlaine, au discours scientifique et aux statistiques, l’écrivain varie les formes et les approches pour mettre son lecteur (mâle donc) dans la position des femmes dont il parle. Les textes sont livrés bruts, on n’est pas dans l’essai, mais plutôt dans une forme qui lorgne du côté du poème : « Sentiment que // ce qui arrive, est/ se comprend, // mais ne se ressent pas // (jamais) // (reformuler plusieurs fois le réel)// en vain (le sens pas) ». Certains textes auraient leur place imprimés ou peints sur un mur d’une salle d’exposition ou présentés via un écran d’ordinateur comme l’irrésistible « Rentacismale.com » qui propose un bulletin d’inscription détaillé pour « la location de partenaire sexuel mec cis hétéro adapté à votre libido ».
L’hétérogénéité des textes peut déstabiliser (mais n’est-ce pas le rôle de l’art ?) et ne manque pas d’interroger, de mettre le lecteur en éveil. Puisqu’il s’agit de défaire les représentations qui nous imposent un impensé, c’est bien le moins qu’on puisse attendre d’une telle entreprise. Reste que, avouons-le, le rire vient parfois faire une oasis bienvenue dans la traversée de ce monde testostéroné et même si la pente est facile à dévaler, on se laisse de bonne grâce emporter par le côté parfois potache d’un texte comme « POSE TES QUESTIONS POLITIQUES SUR MSN » et son « tchat des présidents ». On y lit le post de Boblebombardeur, ex-président du pays le plus puissant qui exhibe son zeste de culpabilité pour avoir bombardé quelques territoires. Il est, on en est soulagé, soutenu par Titine : « Bob, surtout ne culpabilise pas, ceux qui critiquent sque t’as fait dans les pays où y a plein d’terroristes savent pas sque c’est que d’avoir plein d’gens qui t’provoquent (…) G moi aussi un pays qu’est super grand et quand g commencé à le commander je me demandais comment j’allais tt gérer ! »
Après avoir lu ça, les journaux de FranceInfo deviennent rigolos. C’est pas trop tôt.
T. G.
Occupy Masculinité...