Abbé de Rancé. Relations de la mort de quelques religieux de l’abbaye de la Trappe
Relations de la mort de quelques religieux de l’abbaye de la Trappe : une cascade de prépositions, et au bout la fosse où sont jetés ceux qui rejoignirent l’abbé de Rancé dans ce monastère qu’il avait réformé avec une effroyable énergie. Véritables rapports, ces « relations » instruisent de leurs agonies exemplaires ; Rancé en assura la circulation (quatre éditions de son vivant), donnant même naissance à un genre. Il faut dire que la Trappe engloutit plus d’un homme : l’abbé en veilla une centaine de 1664 à 1700, la moitié des entrants ne survivant pas plus de cinq ans. Ici la fin est désirée comme un jour de noces, mais ne saurait être hâtée ; ici il s’agit de devenir « comme de petits enfants », mais « la raison nette et claire » – lignes de crête consignées dans le règlement de l’infirmerie qui autorise les saignées, mais pas les médecins, médicaments ou matelas, ni évidemment les lavements : « ce serait un crime et une immodestie à laquelle il n’est pas seulement permis de penser ».
Il n’est pas simple aujourd’hui de concevoir cet « esprit de pénitence », cette folie d’os qui percent, de convulsions et d’abcès, cette « passion de souffrir » et de « s’anéantir ». Après son pénétrant essai Rancé, le soleil noir, Jean-Maurice de Montremy donne une édition critique de ces « thrillers du salut ». Dans cette sélection de récits très codifiés, se distinguent quand même des caractères et des conditions, voire des morceaux de bravoure quand Rancé semble tenir un personnage, comme ce grand seigneur qui lui déclare « je vous supplie par les entrailles de notre Seigneur Jésus-Christ d’oublier que j’ai un corps », ou ce soldat de fortune les mains « encore toutes fumantes du sang qu’il ne faisait que de répandre » : « on devrait me jeter sur le fumier comme un chien ». Et au bout, à la dernière extrémité, dans le clair-obscur de ses mots, la « douceur » du terrible abbé, dans les bras duquel on expire.
Gilles Magniont
Relations de la mort de quelques religieux de l’abbaye de la Trappe
Armand-Jean Bouthillier, abbé de Rancé
Nuvis, 318 pages, 20 €