Cheffe d’entreprise à Paris, native du Gabon, Charline Effah a fait le voyage de Juba, ville soudanaise à la frontière de l’Ouganda, avant d’écrire ce livre, son premier né. Les Femmes de Bidibidi est un roman percutant, qui dit la saloperie des hommes et l’obscénité de la guerre – comment on s’en relève ou pas, quand on est femme ou fille. Percutant, pour qui n’a jamais mis les pieds dans un camp de réfugiés, ce livre l’est surtout parce qu’il dénonce, par la voix d’une auteure d’origine africaine, le comportement d’oppresseur du Mâle noir, pour reprendre le titre d’un roman du Sénégalais Elgas (Ovadia, 2021). Il l’est aussi parce qu’il met en lumière le désir des Subsahariennes d’une vie autre et bonne. Ce n’est pas si souvent.
Le récit de Minga, la narratrice, commence à Paris : c’est dans l’appartement familial, où la mère, Joséphine, range les paniers de gombos et la morue séchée que sa famille lui envoie du Gabon, que résonnent les premiers coups de tonnerre. Joséphine n’en peut plus de son tyran de mari. Ce n’est pas « parce qu’il a une queue entre les jambes » qu’il doit se sentir « légitime pour la dominer » et vouloir lui « briser les ailes » résume-t-elle. Une nuit, Joséphine s’enfuit. Minga ne la reverra plus. Ce n’est que des années plus tard, après la mort du père, que la jeune femme part à la recherche de la mère disparue : infirmière diplômée, celle-ci, apprend Minga, a travaillé dans un camp de réfugiés, au nord de l’Ouganda. Minga, sans hésiter, décide de se rendre sur place.
Les guerres qui font rage au sud du Soudan ont jeté, dans le camp de Bidibidi, des milliers de gens, des femmes surtout. Grâce aux confidences des unes et des autres, Minga va remonter le fil de l’histoire. La réalité du camp se dévoile, avec ses hiérarchies, son sexisme ordinaire, ses combines et ses drames. Y règne une atmosphère irrespirable, faite « de colères suspendues, de désirs refoulés, de paroles amputées et d’horizons bouchés ». Les femmes y sont des reines déchues, que soulèvent quelquefois le feu de la colère, l’espoir d’un autre monde. Charline Effah leur rend hommage, sans manichéisme, à voix haute et crue.
C.S.
Les Femmes de Bidibidi
Charline Effah
Emmanuelle Colas, 224 pages, 18 €
Domaine français Les Femmes de Bidibidi
septembre 2023 | Le Matricule des Anges n°246
| par
Catherine Simon
Un livre
Par
Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°246
, septembre 2023.