Comme George Romero qui en son temps avait créé la stupeur en enfermant des humains dans un centre commercial attaqué par des zombies, désignant ainsi cet espace inédit au cinéma comme le lieu ultime du capitalisme et de la fin d’un monde, Plexiglas se déroule dans la Zac de Cholet durant le Covid. Dans cette « France moche » – dixit Télérama en 2010 – il y a des gens beaux, comme Lulu et Elliot. Elle est caissière à Carrefour, va souvent voir sa maman à l’Ehpad. Elliot, jeune homosexuel à la recherche d’amour et sans emploi revient à Cholet. Ils pourraient être mère et fils, ils seront amis.
Si dans Zombie, le centre commercial est le lieu de la survie et du consumérisme, il est dans Plexiglas celui de la lutte des classes. « Lulu ne se soucie plus des symptômes, elle questionne les causes. N’en veut plus seulement à la tronche de Macron mais aux structures qu’elle représente. Ne cherche plus à renverser les actionnaires de Carrefour mais le capitalisme tout entier. » Lulu veut se battre, et respecte tous ceux qui n’ont pas peur de mener des actions sur les ronds-points ou ailleurs. Elliot, lui, redécouvre sa ville : le territoire de son enfance a rétréci. « Tout est à vendre. Les prix sacrifiés. Les liquidations totales. » Antoine Philias travaille des phrases longues mais hachées qui disent le rythme des journées, le manque de temps pour soi et l’écrasant labeur. « Fini les temps partiels : nous étions en guerre, Lulu accumulait les heures supplémentaires. » Mais Lulu s’accroche, elle lit le communiste Bernard Friot et le philosophe Frédéric Lordon. Ponctué d’extraits de discours de Macron, du PDG de Carrefour – « Vous n’êtes pas seulement Carrefour ; vous êtes le service public de l’alimentation. » –, des prix des produits qui passent à la caisse de Lulu, le troisième roman d’Antoine Philias joue avec cette réalité très documentée pour en faire un récit plein d’humour grinçant : « De toutes les nouvelles expressions à la mode, elle savait que “travailleur essentiel” était vouée à disparaître plus rapidement que les autres. » Vraiment ?
Virginie Mailles Viard
Plexiglas
Antoine Philias
Asphalte, 232 pages, 21 €
Domaine français Plexiglas
septembre 2023 | Le Matricule des Anges n°246
| par
Virginie Mailles Viard
Un livre
Le Matricule des Anges n°246
, septembre 2023.