La seule à avoir un nom, c’est l’île : l’île de la Vaurély. Ce bout de terre imaginé, autrefois peuplé de familles de pêcheurs, puis devenu un fief de vacanciers milliardaires en mal de paysages fouettés par les vents marins, n’est plus habité désormais que par un homme, « le régisseur », un septuagénaire mutique, que l’on devine solide et ventripotent. Accompagné de ses deux chiens, il passe ses journées à réparer ce qui peut l’être. Et à enterrer dans le « Jardin des oubliés », cimetière improvisé au bord des dunes, les corps qui s’échouent sur le rivage : « des Blancs, des Noirs, des Jaunes, des métisses. De tout âge et sexe. Parfois, un signe religieux. La plupart d’entre eux étaient tatoués ». Pourquoi échouent-ils là ? D’où viennent-ils ? Mystère. Et lorsqu’un beau matin, le cadavre présumé d’une femme se révèle bien vivant, le mystère demeure. Car la rescapée a perdu la mémoire et l’usage de la parole. De mauvaise grâce, l’homme la soigne, la nourrit et lui permet de travailler à ses côtés. Une étrange cohabitation commence.
Dans la deuxième partie du livre, une autre vie s’installe, qu’il n’est pas forcément utile de dévoiler ici. L’île est la même et pareillement tatoués les corps qui arrivent, déchirés ou bleuis, sur le sable de la plage. Quels sont les liens, les mots, les gestes, qui unissent les morts aux vivants ? Y a-t-il un horizon qui vaille, un avenir désirable ?
Jardin des oubliés est un rêve à voix haute, une chanson douce et triste, habitée d’étranges figures, un homme, une femme, une petite fille, qui sont comme des traces d’humains, des êtres inachevés. La vie leur coule entre les doigts, tandis qu’ils s’activent à des tâches absurdes, s’enivrent de fatigue, de savoirs anciens et inutiles. Il y a, dans ce conte poétique, une mélancolie froide qui rappelle certains textes du Mozambicain Mia Couto. Auteur de polars, de nouvelles et même, paraît-il, d’un faux guide touristique, Mouloud Akkouche signe là un roman bizarre et marquant, plein de charme et de spleen.
C.S.
Jardin des oubliés
Mouloud Akkouche
Gaïa, 192 pages, 19,90 €
Domaine français Jardin des oubliés
septembre 2023 | Le Matricule des Anges n°246
| par
Catherine Simon
Un livre
Par
Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°246
, septembre 2023.