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Domaine étranger Mémoire obèse

septembre 2023 | Le Matricule des Anges n°246 | par Catherine Simon

Histoire d’amour et récit d’émancipation, La Grosse est aussi un roman sur le passé colonial du Portugal.

Maria Luisa n’a pas de chance. Non seulement elle est une « retornada » (« revenue » du Mozambique, ex-colonie portugaise) mais en plus, elle est grosse – un « poids lourd », une « baleine », ricanent les garçons dans son dos ! Née à Maputo, sur la côte est-africaine, où elle a vécu la fin de l’époque coloniale, l’héroïne de La Grosse est arrivée à Lisbonne en 1975, toute jeune adolescente, au lendemain de la révolution des Œillets. Ses parents, des Portugais de condition modeste, rentreront dix ans plus tard. Pour retrouver leur fille et ses kilos en trop.
La boulimie et l’obésité de Maria Luisa sont-elles liées à l’histoire familiale/coloniale, les pieds-noirs version portugaise ayant connu, plus récemment que les « rapatriés d’Algérie », les difficultés d’un retour peu glorieux vers la « mère patrie » ? L’auteure, Isabela Figueiredo, ne le dit pas. Sa narratrice, fille unique, tendance solitaire, est bien trop tordue et maline pour expliquer sa folie douce par le seul déterminisme historique ou social. Ce que raconte Maria Luisa, ce sont ses amours, les amours d’une grosse. Et, à travers elles, un peu de l’histoire du Portugal et du quartier populaire d’Almada, où l’auteure elle-même a vécu et signé ce romanesque monologue, qui relève « de la simple fiction et de la pure réalité », est-il signalé en exergue.
Tout commence et s’achève en 2014, dans la banlieue industrielle de la capitale portugaise, alors que la narratrice a perdu ses kilos… et sa mère : ayant maigri en quelques mois, suite à une gastrectomie, Maria Luisa a l’impression de s’être débarrassée d’un « second corps ». Elle se retrouve seule et presque mince, dans l’appartement familial, où sa mère s’est éteinte. Chaque chapitre du livre porte le nom d’une pièce : salon, cuisine, etc.
Construit sous la forme d’un flash-back, le récit en spirale se nourrit de souvenirs et des rencontres amoureuses, sexuelles ou amicales de l’insatiable Maria Luisa. Précoce, torride et intermittente, sa liaison avec David, entamée quand ils étaient étudiants à la fac de Lisbonne, sert d’axe narratif principal. On fait également connaissance avec Tony, une bimbo arrivée d’Angola, collégienne gentiment mythomane, à qui Maria Luisa, fascinée, sert de souffre-douleur ; plus tard, on découvre le gentil Leonel, ami fidèle et homosexuel tourmenté ; on croise quelques amants de passage ; sans oublier la chienne de la maison, cœur tendre et museau humide, à qui la narratrice lit un poème de Camões et avec qui elle s’endort : « bercées l’une par le sommeil de l’autre », puisque « la chienne et moi, explique Maria Luisa, nous sommes une seule bête ».
Après l’hommage au père, à qui Isabela Figueiredo avait dédié son premier livre traduit en français, Carnet de mémoires coloniales (Chandeigne, 2021), récit autobiographique qui restituait, en termes d’une rare crudité, l’univers raciste des petits Blancs du Mozambique, ce deuxième livre est tout entier tendu par l’amour chaotique qui unit la fille à la mère disparue. Le passage, où l’on voit le philodendron – que la mère a rapporté en douce du Mozambique, tout comme les bulbes de dragonniers et de caladiums – envahir les murs du salon, est un morceau d’anthologie. « Apporter la jungle à la maison exigeait un travail insensé », commente la narratrice, au bord de l’asphyxie.
Ironique, parfois cassante, la voix de Maria Luisa est celle d’une errante, qui cherche en tâtonnant à se libérer de ce « passé (qu’elle) habite avec les parents », ce « lien de fer incorruptible qui (les) serre et (les) agglutine ». Histoire d’amour et récit d’émancipation, La Grosse est un livre qui captive, interroge, fait rêver. Il est d’abord, paradoxalement, un récit sur le deuil et la solitude. Écrit au scalpel : sans un poil de graisse, ni pathos.

Catherine Simon

La Grosse
Isabela Figueiredo
Traduit du portugais par João Viegas
Chandeigne, 290 pages, 22

Mémoire obèse Par Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°246 , septembre 2023.
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