Curieux texte que ce premier roman, qui se refuse aux « petites histoires personnelles » et aux « événements » – en bref, à l’air du temps. Il y est question d’un monde inconnu dont revient le narrateur – ou la narratrice – et dont il tente de rendre compte avec précision. Or comment être précis à propos d’inconnu ? Comment dans le même geste, traduire au lecteur une vision (en donner une version partageable) et être fidèle à la vision (inouïe, en deçà des mots) ? C’est dans cette aporie que se tient La Version. Architecte de formation, Debora Levyh ne bâtit pas un monde, elle en décrit les formes, l’espace – mouvant, plastique, contradictoire, où flottent quelques noms de personnages et des actions, des objets et des matières (mousses, liquides, petrichor, sables…). Elle emprunte au genre ethnographique et à son éthique pour produire une sorte de récit par la négative. Quelque chose d’une utopie affleure dans l’évocation d’une assemblée à la fois soudée et hétérogène, mue par le désir, mais les mots achoppent contre la méfiance de ce collectif envers les identités (« Il y a bien “communauté” qui m’est passé par la tête mais on risquerait d’en perdre certains. »). Si certains passages font image, il n’est pas toujours facile d’appréhender voire d’apprécier un roman qui se dérobe, décrit des possibles plus que des faits, et reste parfois, quoi qu’il en dise, plus cérébral qu’incarné. Demeurent un ton, et une dernière partie à l’atmosphère très Volodine, qui relance La Version.
Chloé Brendlé
La Version
Debora Levyh
Allia, 124 pages, 12 €
Domaine français La Version
octobre 2023 | Le Matricule des Anges n°247
| par
Chloé Brendlé
Un livre
Par
Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°247
, octobre 2023.