Un livre

La Vague qui vient

de Daniel Fohr

Editions Inculte

Si la discrétion est votre grand objectif dans la vie, évitez de lire La Vague qui vient en public, vous risquez d’éclater de rire toutes les trois pages. La première scène du roman est préhistorique : un groupe de Néandertaliens mange des baies plus ou moins inconnues. Aussitôt, les hommes sont pris de crampes digestives et se soulagent sur place. Ça dure quatre pages. 
Tout le reste se déroule au même endroit, mais actuellement. Au gré des bouleversements géologiques, la zone de cueillette des ancêtres est devenue une île française. Les fèces fossilisées du petit groupe y sont objets d’études scientifiques (et la principale attraction touristique). Arrive un dessinateur de BD, piteux et déprimé. Son dernier livre n’a pas marché, il n’a plus un sou, plus de projets. Il s’installe dans une maison sans chauffage et y observe ses semblables. Le microcosme d’une petite île qui ne comporte qu’un village et un hameau est prétexte à des observations pince-sans-rire, un peu cyniques et surtout très drôles. 
Daniel Fohr, dont c’est le sixième roman publié, a le sens de la formule qui claque et qui fait mouche. Il trousse ses personnages, imite phonétiquement leur manière de s’exprimer (ah, le délicieux idiot du village…), décrit leurs travers avec une gourmandise au scalpel. Mais s’il n’y avait que cette facette, le roman serait un amusement un peu superficiel, une barbe à papa certes attrayante. On se demande où il veut en arriver : laissera-t-il un goût de vide une fois toutes ces bouchées de sucre soufflé avalées ? Heureusement, le personnage d’une vieille actrice, qui se cache sur l’île dans sa belle demeure, vient donner de la profondeur à cette fiction qui en devient poignante, et beaucoup plus humaine, après le festival de traits d’esprit qui a occupé le corps du roman. Et, mine de rien, le texte se révèle dans sa complexité, avec une construction élaborée laissant découvrir, par bribes qui s’emboîtent, l’histoire de cette femme libre et seule. Une très joyeuse et très tragique réussite.

Anne Kiesel

La Vague qui vient, de Daniel Fohr
Inculte, 336 pages, 22,50 €