Un livre

La Mécanique des lettres

de Un homme de lettres anonyme

Editions Monde à l'envers

L’auteur de La Mécanique des lettres est, par intermittence, postier en CDD. « Ces trois mois-là, je bosse en ville, à vélo, je suis « rouleur », ça veut dire que je n’ai pas de tournée attitrée. Parfois je distribue le même quartier un mois d’affilée, d’autres fois trois tournées différentes dans la semaine. » La « mécanique des lettres » ? Ce qui reste de la Poste française en 2023, treize ans après octobre 2010 quand « (…) de service public, elle devient une entreprise majoritairement détenue par l’État ». L’anonymat de celui qui signe « Un homme de lettres » tient sans doute ici à la prudence du pamphlétaire, lequel se déclare jeune, revendique préférer un CDD à un CDI, et livre en une petite trentaine de pages une charge corrosive sur la mécanisation du tri, les conditions de travail très dégradées des facteurs, la précarisation : les métiers « sont de moins en moins en moins des « métiers », et de plus en plus des « tafs », des « jobs », des activités dont on sent bien qu’elles nous sont extérieures et dans lesquelles il est compliqué (voire peu souhaitable) d’y mettre du sien ».
On en apprend beaucoup sur l’enfer du tri et des tournées, la souffrance au travail des postiers. Mais le livre ne s’y réduit jamais, et il se dégage à la lecture, par petites touches, tout un univers de travailleurs croqué en quelques lignes, ainsi de « Gros tas », « chef incompétent et détesté », de Marlène qui « ne voulait jamais qu’on dise de gros mots parce que ça plaisait pas au Bon Dieu », ou de Michelle, « gentille par-devant et langue de vipère par-derrière ». Il en reste une aimable nostalgie, c’est la fin d’une époque, d’où l’imparfait : « Et les collègues qui n’allaient pas à la cantine et qui restaient à picoler au Télégraphe, parce que les coups en terrasse avec les copains c’est ça qui leur permettait de tenir ». On se demande qui est l’auteur, que l’on espère lire encore.

Jérôme Delclos

La Mécanique des lettres
Un homme de lettres anonyme
Le Monde à l’envers, 33 pages, 4 €