Au lycée, la spécialité théâtre proposait jusqu’à présent aux élèves d’étudier des textes dramatiques et leurs mises en scène de référence. À l’occasion du baccalauréat 2024-2025, pour la première fois, c’est une comédienne qui va être l’objet d’études des jeunes, leur permettant de s’interroger sur « la part active de l’acteur dans la création ». Et quelle comédienne ! Une très grande dame du théâtre et du cinéma : Dominique Blanc. Un livre Chantiers, je vient d’être publié pour l’occasion comprenant quatre parties. Un premier texte écrit par Dominique Blanc elle-même sur son enfance et ses débuts dans le métier, suivi d’entretiens sur trois spectacles choisis par la comédienne. Trois mises en scène qui ont marqué l’histoire du théâtre en France et qui correspondent à trois époques de son parcours professionnel. Le Mariage de Figaro de Beaumarchais tout d’abord, mis en scène par Jean-Pierre Vincent dans lequel, jeune comédienne, elle interprète Suzanne. Puis Phèdre de Racine, monté par Patrice Chéreau, où elle joue à « l’âge de la maturité » le rôle-titre. Et enfin, Angels in America de Tony Kushner mis en scène par Arnaud Desplechin à la Comédie-Française, qu’elle intègre à l’âge de 60 ans. Elle y interprète six personnages et recevra à cette occasion son quatrième Molière.
Chantiers, je retrace donc un parcours hors norme : un travail acharné allié à une très grande humilité et une ligne de conduite exemplaire. Ainsi, pour elle : « Le mot « carrière » est un mot que je n’emploie jamais parce qu’il correspond pour moi à des termes économiques, et à une vie tournée tout entière vers le capitalisme. Je parlerais plutôt de chemin, de route, de paysage. »
Le livre s’ouvre sur une citation d’Ibsen : « Je regarde au-dedans de moi : là est le champ de bataille où je suis tantôt vainqueur, tantôt vaincu. » Dominique Blanc nous livre ses joies, ses succès, mais elle raconte aussi ses échecs comme le fait d’avoir été recalée trois fois à l’entrée du Conservatoire de Paris, ou encore la dépression à l’arrêt de Phèdre. Elle dévoile combien elle n’a pas su se protéger suffisamment et comment toute la violence déployée sur scène s’est retournée contre elle, une fois le spectacle terminé. Elle parle de son complexe d’autodidacte, des notes prises studieusement après les répétitions dans de grands cahiers, du travail de préparation minutieux avant les premières répétitions, sa « matière à rêver » comme elle l’appelle. Elle raconte les rencontres décisives, comme celle avec François Florent : « personnage rabelaisien, (…) une espèce d’ogre venu d’Alsace » ou avec Patrice Chéreau. Et bien sûr l’aventure extraordinaire autour de ces trois créations, ses partenaires de jeu, le travail de costumes, ses angoisses, les petits détails retravaillés sans relâche. Nous sommes au cœur de la fabrique du théâtre, avec cette impression jubilatoire d’être très privilégiés et d’entrer dans une intimité avec cette très belle déclaration d’amour au jeu théâtral.

Laurence Cazaux

Chantiers, je
Dominique Blanc
Actes Sud, 160 pages, 19,80 €