Un livre

Cœurs battants

de Valentine Sergo

Editions Lansman

Il y en a des cœurs qui battent dans cette histoire. Et il y a Nour pour s’en occuper. Nour est cardiologue. Enfin, interne en cardiologie. Et ce ne sera pas facile pour elle d’intégrer le service de l’hôpital puisqu’elle est maghrébine : « Nous devons respecter les quotas d’étudiants étrangers. Ce sont d’abord les étudiants en provenance d’autres pays européens qui sont retenus, puis, s’il reste de la place, les étudiants extra-européens.  » D’ailleurs, rien n’est facile pour Nour. Elle a été abandonnée très jeune par sa mère, Hayat, et c’est pour la retrouver qu’elle est venue en France, retrouver cette maman restée sourde à ses appels et à ses lettres.
Un jour de manifestation, elle porte secours à Joran, un jeune étudiant antillais en agronomie, spécialiste des arbres. Il risque de perdre un œil et l’on pense aux manifs des Gilets jaunes. Et leur rencontre, accidentelle, marquera pour eux le début d’une nouvelle vie. Dans son service hospitalier, Nour s’occupe aussi de Sophie, une petite fille qui a une malformation cardiaque et que sa maman finira par laisser à l’hôpital avec ces mots : « Bonjour, n’importe qui pourra s’occuper de ma fille mieux que moi. » Une maman qui n’en peut plus, qui a besoin d’un dealer pour faire face à ses angoisses et qui ne voit pas comment s’en sortir. Sophie est une fille joyeuse et attachante qui adore les pizzas poulet, fromage et ananas. Elle traverse le monde habillée en fée, et toujours prête à partir à l’aventure : « Attachez vos ceintures et mettez vos hublots ! Dans une minute et dix-huit centimes on part à la conquête de l’univers en terre stèle de l’air ! » Un jour, elle trouve dans une poubelle une pousse de figuier toute sèche. Elle en prend soin et celui-ci va devenir un ami avec qui elle entretient des conversations passionnantes et qui la conseille souvent sur ce qu’elle doit faire.
Et puis il y a les hommes : Franck, le mari de Hayat qui voudrait tant l’aider à oublier pour être enfin tranquille. Il y a Samy, le père de Nour, musicien, qui vit aux États-Unis, qu’elle ne connaît pas mais qui, lui, va la reconnaître. Il y a Amir, le frère mort d’Hayat qui revient de temps en temps parler avec les vivants. Et tout ce petit monde témoigne d’un monde brisé, fêlé, dans lequel les liens sont rompus, dans lequel il est difficile de trouver sa place, et que Nour voudrait pouvoir reconstruire : « J’ai l’impression qu’en regardant battre les cœurs des hommes, j’aurai peut-être une réponse sur le chaos du monde. »
Ce chaos, une radio ou une télévision nous en donne régulièrement des nouvelles : manifestations, grèves, explosion dans une usine, dégâts environnementaux, le cœur du monde menace d’éclater. Et ce que Nour voit autour d’elle, ce sont des hommes et des femmes qui tentent de prendre soin chacun dans leur coin. Qui d’une mère, d’une femme, d’une forêt, d’un petit arbre, d’un manifestant, des résidents d’un Ehpad. Alors elle pense qu’un pas de côté est peut-être nécessaire. Qu’il conviendrait de rassembler toutes ces énergies, mais à l’écart d’une société trop dure ; dans une forêt par exemple, où peut-être il sera possible de réinventer la vie. La pièce est faite de courtes scènes qui installent une situation et posent des questions auxquelles chacun doit répondre. Ce qui suppose de faire des choix, d’accepter de perdre certaines choses pour gagner une vie nouvelle.
Cœurs battants est le deuxième opus d’une trilogie – commencée avec Chaos – intitulée « Cyclone » dans laquelle Valentine Sergo raconte l’histoire de quatre générations de femmes. Et nous avons envie de connaître la suite, cette nouvelle vie que vont inventer Nour, Hayat, Sophie, et Joran ; une suite que le figuier nous promet en conclusion : « D’autres femmes, d’autres hommes, d’autres enfants arriveront par une multitude de chemins connus et inconnus, arriveront exténués par le monde qu’ils ont quitté. »


Patrick Gay-Bellile

Cœurs battants
Valentine Sergo
Lansman, 88 pages, 13 €