Décidément, on le verrait bien dans la Série Noire. Sébastien Brebel s’entête à ne vouloir s’adonner ni au thriller ni au polar. Il y ferait pourtant des merveilles, à n’en pas douter, lui qui excelle, en mi-Cronenberg mi-Chabrol de l’écrit, à installer des atmosphères aussi pesantes qu’intrigantes. Flirtant avec le fantastique, son sixième roman, comme tous les précédents parus chez P.O.L, ne fait pas exception. Comme dans celui d’avant Erre, Erre, on y retrouve un frère, le narrateur, et une sœur, quasi reclus volontaires dans un appartement qui, quoique haussmannien et très spacieux, n’en est pas pour autant hospitalier. Ils s’y claquemurent et l’endroit va devenir un genre de bunker. Villa Bunker c’était d’ailleurs en 2009 le titre de son troisième livre. Il s’agissait, pour citer la présentation de l’éditeur à l’époque, d’un « labyrinthe où les souvenirs refluent, imprévisibles, et où les états d’âme se succèdent, contradictoires, corrosifs ». Toutes choses que l’on peut appliquer à ce nouvel opus, dont la petite musique grinçante donne tantôt des suées tantôt des sueurs froides. Le duo que Brebel met en scène dans ce huis clos perd progressivement ses repères et cela débouche sur une confusion des sens. « L’état de doute perpétuel était devenu notre état permanent. » En neurologie, on appellerait peut-être ça une synesthésie. L’apparition, au fil des saisons, de troubles de la perception ou de l’audition donne l’impression que le bien joli logis est habité (hanté ?), qu’il y a là, dans ce décor clinquant et vieillot, deux corps qui jouent les cobayes. Parenthèse spatio-temporelle, cet « appartement bipolaire » apparaît ainsi tel un labo coupé du monde. En proie à l’esprit du lieu, Abel et Léonie sont deux marionnettes que Brebel, en bon savant flou, laisse se dissoudre dans la solution aqueuse d’une éprouvette. Un roman inquiétant, à la fois amniotique et alchimique, qui se lit d’une traite. Encore mieux qu’un polar, en fait.
Anthony Dufraisse
L’Appartement
Sébastien Brebel
P.O.L, 156 pages, 17 €
Domaine français Un monde appart
janvier 2024 | Le Matricule des Anges n°249
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
Un monde appart
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°249
, janvier 2024.