Dans l’entourage d’Antonin Artaud, la pulsion d’écrire n’était pas rare, et c’est Colette Thomas sans doute qui illustra le mieux ce recours à la lettre – notamment pour échapper aux tourments inventés par les psychiatres du temps qui confondaient expérimentation barbare et soin médical. On sait ce qu’Artaud eut à souffrir des électrochocs, il en a assez parlé. Son amie Colette Thomas (1918-2006), l’épouse d’Henri Thomas, fut internée elle aussi. Élève de Louis Jouvet, elle aura été la meilleure interprète d’Artaud, en transe, incarnant le poète à merveille. « La folie est une vérité qui ne ment pas », écrira-t-elle. Créant elle-même sous l’œil d’Artaud, elle publie Le Testament de la fille morte (Gallimard, 1954) sous le pseudonyme de René. Des crises de démence la coupent peu à peu du monde. À l’hôpital, on lui procure dès lors son « coma quotidien »… Elle résiste cependant à cette torture. Ce sont ces derniers fragments poétiques, qui paraissent réunis. « Les miettes du meunier/ l’or lavé des grèves/ Tombées ! Plumes envolées ! » On y découvre des traits lumineux et des bizarreries extraordinaires qui courent d’un surréalisme natif à l’élucubration hâtivement jeté sur la page. Parfois, aussi, des questionnements plus pratiques : « Ce qui m’inquiète est de constater qu’un homme libre paraît ne pas être utilisable, alors que par ailleurs il est celui dont le rendement est le plus élevé. » Colette Thomas n’a plus écrit à partir de 1957, abandonnant cette liberté et son enthousiasme pour la création. Rompue, sans nul doute.
Éric Dussert
Cette fois-ci la forêt était vierge
Colette Thomas
Préface de Gaspard Maume
Prairial, 180 pages, 16 €
Histoire littéraire Cette fois-ci la forêt était vierge
janvier 2024 | Le Matricule des Anges n°249
| par
Éric Dussert
Un livre
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°249
, janvier 2024.