En 2020, dans son admirable Apeirogon, Colum McCann nous faisait partager la douleur infinie puis le long travail du deuil et de la compréhension d’un Palestinien et d’un Israélien. L’un et l’autre avaient perdu une fille, toutes deux victimes de ce conflit qui, aujourd’hui, de nouveau, cause la mort de milliers d’innocents. L’écrivain poursuit, dans cette œuvre plus modeste mais tout aussi pénétrante, sa tentative d’approcher au plus près la perte inconcevable et invivable : celle, pour les parents, d’un enfant. L’american mother du titre est cette femme qu’il présente dès l’abord comme celle avec qui il a conçu puis écrit ce livre : Diane Foley. Elle est la mère du journaliste freelance James Foley, capturé, emprisonné, sans doute torturé et, enfin, décapité par des membres de Daech. Le livre s’ouvre sur la confrontation, qu’elle a désirée, dans une prison américaine, avec un de ces ravisseurs, après son procès, un dialogue bien sûr difficile, empêché, mais pourtant révélateur : « Une symphonie confuse. Compassion. Vengeance. Ressentiment. Pitié. Deuil. Grâce ». Le récit donne ensuite la parole à cette mère qui remonte le temps, retrace le parcours universitaire puis professionnel de son fils, l’annonce de sa capture, les longs mois d’attente angoissée, l’indifférence et l’incompétence du gouvernement américain. Puis vient l’assassinat, les premiers temps de sidération qui suivent, mais ensuite le choix décisif de s’engager dans la lutte : Diane Foley crée une fondation qui se donne pour tâche de lutter contre les prises d’otages et les emprisonnements abusifs.
L’écriture est ici d’une grande précision, comme d’une infinie délicatesse, attentive à décrire les moindres nuances des sentiments et réflexions, les infimes variations de la douleur ou de la tentative de consolation, la nostalgie du passé partagé comme l’espoir d’être à la hauteur des idéaux du fils perdu… Des questions essentielles parsèment alors ce chemin de résistance, cette quête d’humanité – ainsi « Qui peut dire où commence l’humilité et où s’arrête la haine ? »
Thierry Cecille
American mother
Colum McCann avec Diane Foley
Traduit de l’anglais (Irlande) par Clément Baude
Belfond, 200 pages, 21,90 €
Domaine étranger Contrer la haine
février 2024 | Le Matricule des Anges n°250
| par
Thierry Cecille
Un livre
Contrer la haine
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°250
, février 2024.