Un livre

Je deviens (séances)

de Jean-Marie Gleize

Editions Presses du réel

Parmi maints essais sur la poésie, dont le fameux Poésie et figuration (1983) ou encore À noir. Poésie et littéralité (1992) ainsi que ses travaux sur Francis Ponge, Jean-Marie Gleize a publié une série de livres de poésie (de Léman [1990] à Trouver ici [2018]) dont le champ d’interrogations, de réponses, de positions, paria sur une poésie dite « négative », voire sur ce que le programme de sa revue Nioques appela plus tard « post-poésie ». Programme auquel le travail de JMG se tint, mais très en biais, ou qu’il déborda toujours. Insistant sur quelques obsessions profanes (la nudité, la littéralité, la pauvreté, l’austérité), en les articulant à leurs revers quasi mystiques. Sans doute le lien avec l’œuvre d’Anne-Marie Albiach, si admirée, se noue-t-il à cet endroit de réversibilité entre un matérialisme affirmé et quelque chose qui, dans le langage, résiste à toute nomination et à tout classement. Cette partition appelle la nécessité d’élaborer un théâtre de l’écriture, dont le mot « politique » est aussi le point d’accroche et d’accroc chez JMG.
Cet âpre réceptacle bigarré, le nouveau livre Je deviens, sous-titré « séances », le déploie à nouveau, en des séries de proses hachées, que quelques photographies séparent (« Inventaire »). Hanté par l’enfance et un lieu (Tarnac), par les morts (dont l’exhumation du Curé d’Ars) et la figure de François (d’Assise), le livre devient ici jonction entre le vœu de pauvreté et le regard des anges, « que rien ne prédit ». Ces deux dernières figures, greffées à bien d’autres, traversent le livre comme des motifs spéculaires. Ils réfléchissent les conditions de possibilité de l’écriture, de ce vers quoi elle avance à ce qu’elle ne cesse de charrier, de l’enfance à la disparition, des saccages de la terre aux scènes énigmatiques d’un atelier de peintre. Travail de la disparition, du désarroi, que « le temps de voir » expose en quatorze sections, œuvrant à un espace de proses rases, esseulées et travaillées par un deuil sans nom.

E.L

Je deviens
Jean-Marie Gleize
Les Presses du réel, « Al Dante », 156 pages, 17 €