Plutôt que de se demander si la poésie peut vraiment dire l’ardeur amoureuse, l’éperdument charnel, la singularité flamboyante du désir, Nathalie Swan a fait confiance à son amour des mots et à la puissance émerveillante de la joie d’aimer. D’où les bouquets de mots à vif, l’écriture à fleur de peau, la fièvre explosive de L’Exigence de la chair (Corlevour, 2022), le premier livre d’une poétesse qui enseigne la philosophie dans les Hauts-de-France.
Manifestement venu après une traversée du désert, un temps « où tant d’amour a manqué », ce livre est une fabuleuse déclaration d’amour, une ode au corps aimé autant qu’au corps aimant. L’amour y est placé sous le signe de l’illimité et de l’immédiat, de la joyeuseté allègre qui veut qu’en tombant amoureux on fait le choix d’aller là où nous ne savons pas par des chemins que nous ne savons pas. Car aimer, c’est plonger dans la nuit du non-savoir, c’est obéir les yeux fermés à ce qui met en contact avec l’existence à l’état pur. « Tes yeux s’ouvrent dans le fermé des miens / du fond de mon interstice à mains nues / je ponce tes ronces » dit le poème liminaire. Foin de la sentimentalité, il s’agit de se laisser aller à cette chose ni nommable ni figurable qui fait des corps des formes ouvertes et liées. Pas n’importe quel corps mais le corps singulier de chacun des amants dans ce qu’il a d’irremplaçable, d’unique. « Je respire le silence quand ton ciel m’écoute / penser à ton épaule / ma chair s’oasit à ton franchissement / ma langue t’adresse le perdu de ton cri / pour mendier tes explosions je t’affame ».
Cambrés, offerts et offensifs les poèmes disent la pulsion désirante qui rompt tous les obstacles, franchit toutes les frontières. « Ta comète bombarde ma planète de succulences / le rouge de mes pommes d’amour ravagées fonce // les traversées en sourdine de ton nœud / m’arrachent des éboulis imprononçables / me forent d’euphorie / strient mon azur ». Corps à corps de forces antagonistes qui laissent jouer leur attraction, l’amour se décline en états de pensée convulsifs, en impressions sauvage, en fragrance d’enfance, en vassalité amoureuse et en soumission. « Arrache à ma chair l’arrondi de ta cambrure / éclate le farouche de ma pureté / (…) / encercle l’ouverture de ta chance / mon sang de tourbillons éclatés rejoint ton animal / sur ta croix s’ouvrent mes bras / le fond de ton cri monte en colonnes de lumière / tes crachats incrustés d’éclats / la clairière de mon intime reçoit ta rage ». Débordant d’impatience et de désir ahuri le poème clame l’exigence de la chair, en creuse l’insensé, en enregistre l’inouï. « Demande à tes mains quand ton regard me falaise / de rassembler mon écho et ton épicentre ». C’est qu’il s’agit de dire la joie ruisselante de cette catastrophe à apprivoiser qu’est le désir toujours neuf, qui dure et s’intensifie, distille sa sorcellerie évocatoire, celle même que Nathalie Swan inscrit dans la matière de la langue. D’où la densité charnelle d’une parole nue chevauchant à cru les mots du plaisir effréné, des sortilèges conjugués de l’éros et de l’aura. Poèmes intemporels associant en portées parturientes la souveraineté sauvage de la joie d’aimer au vertige de l’érotisme.
Cette célébration du continuel avènement d’être qu’est la fureur amoureuse, on la retrouve dans Innombrable est ta lumière qui vient juste de paraître. Un second livre composé de deux parties. Dans la première, « Je déambule sang bleu », les poèmes ont pris l’allure de la prose mais le ton reste inchangé, tout en insolence solaire et innocence vraie, celle qui ne connaît ni la honte ni la faute. « Mon indécence délimite le trouble. Tu me turbines. Je t’emballe. Je t’escalade. J’enfile ta corolle toute salive dehors. Tu mets du sourire entre mes cuisses. Mes pieds s’activent pour créer le chaos. Je veux laper tes orages et bagarrer l’amour. Ton corps sur mon échafaud offre un terrain à bâtir. Tu m’oblitères selon l’ampleur de l’onde. Je t’active. J’amplifie ton audace. L’incontrôlable a l’odeur de ta peau. » Dans la seconde partie, « Le Brasier », – comment l’éviter quand le je brûle et que le tu s’enflamme – s’égrènent les foyers d’une ligne d’embrasure cherchant à cerner des justesses d’osmose comme l’envers de l’extase. Parce que l’amour est aussi nu qu’implacable et parce qu’il a un goût d’infini : « Autour de ta bouche / mon corps n’a plus ni commencement ni fin ».
Richard Blin
De Nathalie Swan
L’Exigence de la chair et
Innombrable est ta lumière
Préfaces de Dominique Sampiero
Corlevour, 125 et 122 pages, 16 € chaque
Poésie Le paraphe de feu d’une œuvre-chair
avril 2024 | Le Matricule des Anges n°252
| par
Richard Blin
Par fulgurances, les poèmes de Nathalie Swan exaltent les évidences secrètes qu’ils découvrent au cœur de l’énigme éblouie qu’est le désir.
Des livres
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, avril 2024.