J’ai avalé une puce électronique hier. » Dès l’incipit de son court récit, le journaliste brésilien Rodrigo de Souza Leão (1965-2009) manifestait le problème qui l’opposait aux insectes. « Tout a commencé quand j’ai avalé un grillon à São João da Barra. J’avais l’âge de 15 ans. » La schizophrénie l’a emporté petit à petit mais il est parvenu, comme André Baillon ou Antonin Artaud, à nous faire partager ses délires – et ceux de son frère –, douleurs, projets de langue nouvelle (le « todog ») au milieu d’étrangetés et d’errances. Ces expériences inouïes, décrites en leur temps par Marc Stéphane (La Cité des fous) et Georges-A. Denis (Le Brasier), la traduction de Tous les chiens sont bleus en forme une sorte de synthèse très dense. Quoique court, c’est un ambitieux séjour en folie que nous propose ce livre : « J’avais déjà dit à ce petit con qu’il allait se casser la tête. Il va avoir un sérieux accident vasculaire cébéral. Je blsjdsonkmOooooeeirrrrirrrirruiirrriiirii. Personne comprend ce que tu dis. Fou stupide. Je vais à Paracambi, si tu veux, tu as à Caju. »
Les étapes de cette errance spirituelle sont ponctuées de crises délirantes et de prises de médicaments qui n’entravent pas toujours l’expression d’une créativité à bâtons rompus. « Je suis sorti du motel et suis allé à la gare routière. J’étais possédé par un esprit fertile de la folie moderne, qui a souvent aidé la poésie du XXe siècle et a mis le sujet de la littérature contemporaine à sa juste place. Ma manie de persécution a touché les sommets de la gloire. Je courais par les rues de Porto Alegre. Les policiers m’ont vu courir. Les policiers sont des êtres vivants. On dirait des épouvantails. Les épouvantails n’ont pas d’œil. (…) Arrête-toi, putain ! » Mais la schizophrénie impose la vie en institution où il est souvent « l’heure de regarder la télévision. » Comment ne pas penser au roman de Ken Kesey, Vol au-dessus d’un nid de coucou (1962) et sa fabrique de « brouillard » mental…
Éric Dussert
Tous les chiens sont bleus
Rodrigo de Souza Leao
Traduit du portugais (Brésil) par Emilie Audigier
Le Lampadaire, 95 pages, 13 €
Domaine étranger Tous les chiens sont bleus
mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253
| par
Éric Dussert
Un livre
Tous les chiens sont bleus
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°253
, mai 2024.