Tout commence par une voix : « L’homme est un monstre pour l’homme et la femme est un bétail pour l’homme. » C’est une femme qui parle. Une femme qui pose le cadre. Un cadre général. Celui du statut des femmes en temps de guerre, et plus généralement, de la place qu’elles occupent dans la tête des hommes. Et puis viennent les faits. Nous sommes au Mali, en janvier 2003. C’est la guerre et des militaires s’emparent de la famille d’Anna. Son père, sa mère, son frère. Et puis Anna. La mère est violée devant son mari. Le frère forcé sous la menace de violer sa mère. Et Anna est violée elle aussi. Elle a 8 ans. Les militaires s’en vont, puis reviennent. Et chaque fois se déroulent les mêmes scènes. Anna veut partir, oublier, fuir ce lieu de malheur. Ouma sa mère a choisi de rester : « Peut-être parce que je connais les bourreaux d’ici, je connais leurs méthodes, leurs visages, je me suis habituée à leurs coups, à leur brutalité, et je ne supporterai pas de devoir m’habituer à d’autres bourreaux, d’autres odeurs, d’autres façons de faire. » Entre elles, c’est à la fois l’amour et la haine. Anna en veut terriblement à ses parents de ne pas l’avoir protégée, de ne pas l’avoir consolée après, lui demandant juste de se nettoyer. En même temps, d’avoir partagé les mêmes souffrances, les mêmes douleurs les rapproche. L’autrice, Jeanne Diama, est née au Mali. Son texte est un cri de douleur, un cri de colère aussi. Et au-delà il raconte la tristesse et l’incompréhension. Pourquoi les hommes font-ils preuve d’une telle violence ? Pour le pouvoir ? Pour exister ? Par habitude ?
Le second texte poursuit la réflexion autour de la place des femmes et de leurs relations avec les hommes. Nous sommes toujours au Mali, nous avons quitté le théâtre de guerre, nous sommes dans une cour. Ella, jeune femme, est entre les mains de la coiffeuse. Autour d’elle, les femmes de sa famille bavardent, rigolent, s’affrontent sur le mode de la plaisanterie. Ella est en âge de se marier mais elle refuse les traditions et ses règles instaurées par les hommes. « Oui, j’ai vingt-cinq ans et, oui, je suis célibataire sans enfant. Et oui, je gagne cinq cent mille par mois, sans baiser avec mon patron, après avoir obtenu mes diplômes sans baiser avec mes profs et obtenu mon boulot sans baiser avec un employeur. » Et ça bavarde, ça discute, elles sont entre elles, et les générations s’affrontent. Elles comparent leurs expériences, souvent douloureuses, parlent des hommes, s’en moquent mais regrettent qu’ils ne les comprennent pas obsédés qu’ils sont par le sexe. « Parce que non, il ne suffit pas juste d’avoir Ton joujou dans Mon joujou pour que ça fasse Boum… Alors si en plus on t’a coupé ton clito quand tu étais petite… » Et parlant toujours, elles passent rapidement des traditions, des proverbes mensongers, « Ce que femme veut, Dieu le veut » aux revendications. La jeune Ella mène la danse et entraîne avec elle les femmes qui toutes ont des choses à revendiquer. Et des interrogations. Il est question de grands principes, l’égalité entre les sexes, la soumission des femmes, le rapport à l’enfant, mais aussi de choses plus quotidiennes, plus intimes : les règles, la façon d’accoucher, le choix des serviettes hygiéniques, la fréquence et la qualité des rapports sexuels, le désir et le plaisir féminins. L’écriture, précise, directe, sans fioritures sait aussi se faire drôle, tendre ou poétique.
Pour écrire ce texte, Jeanne Diama a beaucoup rencontré, beaucoup écouté. Mais c’est certainement elle-même qu’elle raconte aussi. Elle a 30 ans, et la jeune Ella lui ressemble, évidemment. Elle a, comme elle, l’envie de changer le monde et les rapports entre les femmes et les hommes. Un beau projet, non ?
Patrick Gay-Bellile
Cousu main/Coups humains suivi de Tafe Fanga ?/Le Pouvoir du pagne ?
de Jeanne Diama
L’Espace d’un Instant, « Sens Interdits », 78 pages, 13 €
Théâtre Femmes de combat
novembre 2024 | Le Matricule des Anges n°258
| par
Patrick Gay Bellile
Du viol en temps de guerre au patriarcat quotidien, deux courtes pièces questionnent la place du corps des femmes.
Un livre
Femmes de combat
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°258
, novembre 2024.

