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Domaine étranger La guerre est déclarée

février 2025 | Le Matricule des Anges n°260 | par Valérie Nigdélian

Avec Lundi, ils nous aimeront, lauréat 2021 du prix Nadal en Espagne, Najat El Hachmi signe un vibrant récit d’émancipation.

Lundi, ils nous aimeront

Elles sont deux. Deux amies. Presque deux sœurs. Presque amantes. Toutes deux prisonnières – de leur sexe, de leur quartier, de leur origine. Toutes deux convulsives, et fugitives, l’une suivant amoureusement la voie ouverte par l’autre. À « la périphérie de la périphérie de Barcelone », dans le panoptique de béton d’« un quartier vertical aux appartements bas de plafond », l’une est encore une adolescente invisible, « l’Arabe bosseuse », « la Muette » au regard baissé et au pas rapide. L’autre est son soleil aux yeux de suie, indifférente aux rumeurs, aux diktats, libre, désirante. Leur histoire est celle d’une course – timide, têtue, dangereuse –, d’une conquête toujours recommencée malgré les chutes et les mains qui tentent de les entraver. Leur histoire est celle d’une échappée, d’un non intimement proféré. Celle d’une entreprise terriblement modeste et, tout à la fois, d’un combat titanesque.
Ce récit de la Catalane Najat El Hachmi est une adresse fiévreuse et nostalgique de la première à la seconde, la tentative rageuse de dire le « régime martial » qui leur a tenu lieu de berceau, les murailles repoussées et, à l’horizon, ce territoire aux contours flous, magnétique, où elles auraient enfin le « droit à exister, tout simplement »  : « Telles que nous sommes, rien de plus. Sans avoir à nous amputer, nous adapter ou nous soumettre. Ni voilées ni faméliques ni perforées par mille aiguilles ni badigeonnées de mille crèmes ni engoncées dans des robes trop serrées. Simplement avec nos corps, qui sont nous-mêmes, avec nos caractères, nos pensées, nos émotions et nos blessures, celles qui ont cicatrisé et celles qui restent ouvertes. Rien de plus. »
Pour ces filles de l’immigration marocaine coincées entre deux mondes, cette « nouvelle espèce de femelles, nées et élevées dans des pays qui avaient la coutume exotique de laisser les femmes adultes faire ce dont elles avaient envie », il faudra s’extirper du contrôle des pères, des frères, de tous les gardiens du temple. Renoncer à être « convenables », ne plus se recroqueviller, ne plus se cacher, « sortir du droit chemin » pour aller « dans la lumière du monde ». Une lèvre rougie, un sourcil épilé, c’est le risque des crachats et des insultes. Que dire alors d’étudier ? de travailler ? de choisir l’homme avec qui partager sa vie ? Mais que faire alors des autres formes de contrôle qui les guettent, des injonctions et assignations en tous genres du monde « moderne » qui s’ouvre à elles – dont la première passe par le corps, toujours trop large, trop débordant ? C’est donc un troisième monde qu’elles devront inventer, et forger selon leurs propres règles, leurs propres désirs, où cabossées, meurtries, et irrémédiablement solitaires et déracinées, elles pourront, peut-être, être libres.
Violente charge contre l’islam et les prisons qu’il impose aux femmes, regard désenchanté sur les promesses d’une modernité tout aussi sclérosante, Lundi, ils nous aimeront est peut-être d’abord une déclaration de guerre faite aux mères : « Je ne serai pas comme toi, je ne me couvrirai pas, je ne m’enfermerai pas et je ne renoncerai à rien. » Ce récit à la teneur fortement autobiographique tient sur le fil ténu de la langue d’El Hachmi, volontiers prosaïque, ordinaire et quotidienne, mais toujours prête à basculer ailleurs au détour d’une phrase. Façon de s’affronter à la banalité du combat de ces « femmes insignifiantes » tout en en restituant la dimension tragique, épique, poétique. Dans cette conquête d’un espace à soi, l’écriture ici joue un rôle cathartique : c’est le lieu de la rage, le lieu de l’émancipation, le lieu où défaire, patiemment, la « toile d’araignée en acier » qui enferme, fige, éteint. C’est aussi et surtout l’affirmation d’un désir inextinguible, désir de vie et de jouissance, désir de vent dans les cheveux. À l’image de ce corps nu alangui sur les rochers, enfin à la vue de tous – enfin capable du grand saut dans le ressac du monde. Corps intranquille, mais rayonnant et ouvert, défi crâneur : « Qu’ils me voient, qu’ils me regardent (…) Je n’ai pas peur, je n’ai pas peur, je n’ai pas peur. »

Valérie Nidgélian

Lundi, ils nous aimeront, de Najat El Hachmi, traduit du catalan par Dominique Blanc, Verdier, 256 pages, 23 €

La guerre est déclarée Par Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°260 , février 2025.
LMDA papier n°260
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LMDA PDF n°260
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