Abed Azrié, pour certains, c’est d’abord cette voix, grave, chaude et douce, un peu voilée, qui ondule dans les mélismes orientaux de la musique qu’il a créée pour chanter l’Épopée de Gilgamesh. Une très vieille histoire, écrite en Mésopotamie il y a 40 siècles. L’enregistrement date de 1977, nous sommes nombreux à être entrés dans Gilgamesh grâce à cette version musicale.
Dans Éperdument, Abed Azrié se raconte. Sous-titré « Un enfant d’Alep au bord de la Seine », son récit prend pied entre Syrie et Liban. L’adolescent découvre des extraits de Rimbaud et Baudelaire traduits en arabe, quitte la pratique religieuse de l’Église syriaque, arrive à Paris une première fois en 1965, à 20 ans. Il y rencontre Maurice Martenot, qui accepte de le prendre dans son école, vit de mille petits boulots. Son éducation musicale se fait à l’instinct, il se nourrit autant du brésilien Carlos Jobim que de L’Enfant et les sortilèges de Ravel. Sa culture saute par-dessus les frontières et son récit s’adresse à tous, sans prérequis. Le lecteur français est surpris (voire vexé ?) de trouver des notes de bas de page lui expliquant qui est Léo Ferré ou Louis Aragon ? Qu’il s’imagine donc arriver d’une autre partie du monde. Et qu’il se réjouisse d’apprendre, dans une autre note, qui est Abou’l Faraj Al-Isfahâni, lequel compila au Xe siècle la poésie arabe dans une anthologie de 10 000 pages en 25 volumes.
Dans le texte d’Abed Azrié, la vie se mêle à la musique et à sa soif de découvertes. Il raconte comment il entend « la respiration des doigts » du pianiste espagnol Ricarde Requejo jouant Manuel de Falla. Il écrit comme on parle à des amis, mêle ses références musicales à des épisodes de sa vie. Nous sommes dans l’art, à l’opposé d’une architecture rigoureuse. Et qu’importe s’il nous raconte deux fois, page 57 et puis page 135, que le musicien Ziryâb venu de Bagdad fonda, en 822 à Cordoue, le premier conservatoire de musique de l’histoire, tout en introduisant en Espagne les asperges et les gobelets en verre soufflé.
Anne Kiesel
Éperdument, d’Abed Azrié, Al Manar, 170 pages, 22 €
Domaine français Au-delà des frontières
juillet 2025 | Le Matricule des Anges n°265
| par
Anne Kiesel
Un livre
Au-delà des frontières
Par
Anne Kiesel
Le Matricule des Anges n°265
, juillet 2025.

