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Domaine français Hubert Haddad : le mineur de fond

février 1994 | Le Matricule des Anges n°7

Né en 1947 à Tunis, arrivé en France dans les années cinquant, Hubert Haddad a bâti en une vingtaine de livres une oeuvre riche d’unelangue éclatante et pure. Parutions d’un nouveau récit et d’une pièce de théâtre.

Tout un Printemps rempli de jacinthes

Il faudrait faire lire Hubert Haddad dans les écoles. Offrir ses phrases à la rumination romantique des adolescents. Donner en exemple cette maîtrise créatrice de la langue.
Que les sceptiques se penchent sur L’Ami argentin ! Texte court, fulgurant, riche d’une poésie qui s’efface, humble devant le sujet, L’Ami argentin s’ouvre comme une confession (l’aveu d’une promesse), elle-même emplie d’autres confessions. Poupées gigognes qui conduisent à la création, les voix qui affleurent pénètrent un monde où les mots ont partie liée avec les couleurs, les odeurs, les sons. C’est un livre d’une rare sensualité, où l’écriture abreuvée aux sources même de la poésie s’est défaite des oripeaux d’un langage guindé d’où l’homme est absent, pour retrouver dans le rythme de la nostalgie l’essence même de la condition humaine. L’ami argentin c’est Guillermo Roux, peintre né « à San José de Flores, en 1929, d’une mère d’ascendance française » et d’un père illustrateur qui l’initiera au dessin. « Par la voix de la mère, d’invisibles ancêtres devaient l’entretenir d’un pays aux allures d’un parc ancien (…) ». L’appel de l’Europe rêvée est trop fort, Guillermo prend le large : « J’ignore par quelle hélice il progressa, s’il prit l’air ou l’eau du voyage, mais le mouvement des nuages est comme la mer et je suppose qu’il contempla l’un ou l’autre par un similaire hublot. » L’Ami argentin n’est pas le récit circonstancié d’un apprentissage, mais la projection de ce que fut cette initiation dans l’imagination du romancier. L’imaginaire comme chemin de la réalité.
C’est à Genève d’abord que le jeune Guillermo découvre l’Europe et les hirondelles, Genève où « la nuit inégale des Alpes appelait le regard ». Puis, enfiévré d’excitation, Guillermo se rendra à Rome, ville de tous les arts. Là, il entre au service d’Umberto Nonni fresquiste talentueux en charge de la restauration des nombreux monuments que la Deuxième Guerre mondiale n’épargna pas. Le maître va prendre le pas sur l’élève dans la narration d’Hubert Haddad. Nous remontons vers la source, l’apprentissage de la connaissance, le modèle du père spirituel. C’est un magnifique portrait qui se dessine. Celui d’un artiste véritable dont le sacerdoce recouvre du secret la déchirante blessure que Nonni cachera jusqu’à sa mort et que Guillermo Roux apprendra fort tardivement. Car malgré son tutoiement des siècles, ses caresses du pinceau apportées aux fresques des grands peintres, Nonni ne s’éloigne pas de sa condition d’homme. Si Guillermo s’enchante de « l’ordinaire enthousiasme de son maître », il ne tarde pas à s’inquiéter de ses étranges sautes d’humeur, de ses coups de folie.
Hubert Haddad nous apprend peu à peu, dans son récit, que la foi de l’artiste peut l’exclure du monde et que cette exclusion creuse un gouffre sombre où s’enfonce irrémédiablement le donneur de lumières. Paradoxe de la création, comme si deux vies s’affrontaient : celle de l’artiste et celle de l’homme.
Mais avant d’arriver au terme de la parabole, qui n’est après tout peut-être qu’anecdote authentique, on apprendra à peindre avec Guillermo et Umberto, sur les façades de Rome : « il fallait placer les couleurs sur l’enduit encore frais avec des pinceaux en poils de martre et des éponges (…). L’exécution, faite par zones successives, interdisait les repentirs. ». C’est le Quattrocento dans la seconde moitié de notre siècle, c’est la redécouverte du geste, l’attention portée aux choses, l’hommage rendu aux illustres. La phrase d’Hubert Haddad se fait respectueuse de cette histoire qu’une guerre voulut effacer, elle est comme le fresquiste, elle cherche à rendre visible la longue chaîne de savoir qui à travers les siècles a transmis aux hommes le goût et l’appel du sacré. Vers la fin du récit, Guillermo quitte Rome et son maître pour retrouver l’Argentine : « Fort des mille leçons de l’Europe, il s’envola pour Buenos Aires, la tête vide, comme s’il fallait s’empresser de les omettre toutes pour qu’elles se muent en émotions. »
On retrouve dans Tout un Printemps rempli de jacinthes, la pièce de théâtre qui sort simultanément, des thèmes similaires à L’Ami argentin. Les artistes ici, sont écrivains. Nous sommes en Cornouailles loin de Verdun où des hommes (« des ouvriers, des étudiants, des instituteurs, des poètes ») subissent la grande boucherie mondiale. Dans une lande balayée par les vents, D.H. Lawrence et sa compagne Frieda reçoivent le couple formé par John Middleton Murry et Katherine Mansfield. Placée sous le signe de Tchékov, la pièce d’Hubert Haddad va s’enfoncer dans une pénombre de plus en plus angoissante, rythmée par la toux tuberculeuse de D.H. Lawrence et les palpitations cardiaques de Katherine Mansfield. Pièce sombre et dure où le personnage de Lawrence est rendu dans toute son ambiguïté, Tout un Printemps rempli de jacinthes soulève plus d’interrogations que de certitudes. Pris dans l’implacable dureté du monde, les créateurs n’offrent à leurs semblables qu’injures ou mépris, seules réponses possibles à l’hostilité ou au silence qui accompagnent leur production littéraire. Lorsque nous avions rendu visite à Hubert Haddad, en septembre 1992 (cf Matricule N°1), il se documentait sur la vie de ses personnages, lisant leur œuvre, endossant comme un acteur leur vie, se faisant, un temps, un homme du début du siècle. Etre Lawrence, être Mansfield endeuillée de la mort de son frère aux champs d’honneur, et sortir de cette expérience là pour donner à lire (à voir bientôt ?) cette pièce c’est, en quelque sorte, faire office de mineur au sens où l’entend le personnage D.H. Lawrence : « La mine est vraiment comme l’enfer créateur. Imaginez la chair du charbon qui croule sous le pic comme le secret ténébreux de l’âme. On revient de là ivre et sale, la face hallucinée. (…). L’odeur de grisou et la poudre de charbon mêlée à la sueur et au sang, c’est ce qu’on trouve au fond de l’homme. Oui, nous sommes ainsi, minuscules, à creuser dans le péril de l’âme… ». (p.126)
Avec Les Danses photographiées (Armand Colin) et Garcia Marquez (Marval), Hubert Haddad nous aura donc offert quatre livres en un peu plus d’un an. La rentrée prochaine devrait être porteuse d’un roman chez Zulma : Hubert Haddad est un vrai mineur de fond.

L’Ami argentin et
Tout un Printemps
rempli de jacinthes

Hubert Haddad
Dumerchez
52 pages, 85 FF et
164 pages, 135 FF

Hubert Haddad : le mineur de fond
Le Matricule des Anges n°7 , février 1994.