Un livre

Avant ma naissance...et après

de Ivaïlo Petrov

Editions Age d'homme

Dans la région de Dobroudja, vaste contrée bordée de steppes et de hauts plateaux, frontalière entre la Bulgarie et la Roumanie, on ne s’embarrasse pas avec les règles de bienséance. C’est ce que nous apprend Ivaïlo Petrov avec son roman autobiographique Avant ma naissance…et après, constitué comme son titre l’indique de deux périodes, l’une prénatale, l’autre postnatale, le point d’inflexion se situant en 1923 date des premières insurrections paysannes et des premiers cris de l’auteur. Pour ceux qui s’intéressent à l’Europe orientale, ce livre est un enchantement : lyrique par sa richesse d’évocation de l’âme bulgare, précieux par sa dimension de document ethnologique. Rédigé comme une saga familiale qui s’étend au microcosme villageois, il brosse avec une douce ironie mêlée de tendresse la rustique vie d’un monde paysan coupé de la civilisation rugissante. Nanti d’une plume enjouée et jubilatoire, Ivaïlo Petrov dresse là une galerie de portraits saisissants, caricature d’un monde clos et libre à la fois, où le picaresque se mêle au burlesque, l’adultère aux mariages arrangés, les philosophies modernes aux croyances désuètes, les actes de bravoure à une couardise congénitale. Chez ces gens-là, on ne recule devant rien pour éviter toute tracasserie. On apprend ainsi que la méthode dite de « l’enlèvement sans traces » est un moyen des plus sûrs pour trouver l’âme sœur. On apprend aussi que le partage des biens familiaux se finit toujours à coups de dés pour éviter toute complication. Chez ces gens-là, personne ne s’offusque qu’un chrétien orthodoxe occupe comme habitation une petite mosquée en ruine plantée dans un cimetière turc, ou que le serviteur de Dieu se saoule pendant la messe, donne des coups de fusil pendant les noces, et bredouille diverses anecdotes au lieu de lire les psaumes. Dans ce livre, les bandits portent la carabine haut sur l’épaule, mais leur cœur est rempli de bonté et de justice. Une vraie gourmandise.

Avant ma naissance… et après
Ivaïlo Petrov
traduit du bulgare
par Marie Vrinat
L’Age d’Homme
183 pages, 110 FF