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Domaine étranger Les vitamines du malheur

octobre 1994 | Le Matricule des Anges n°9 | par Christophe David

Plus qu’un roman, Paysage avec voyageur de Barry Gifford est la géographie d’un « état d’esprit ». Sorte de Neveu de Rameau new-yorkais.

Paysage avec voyageur

Barry Gifford est surtout connu pour la série des Sailor que le film de David Lynch a révélé au grand public. Auparavant, il avait publié simultanément en 1980 Port tropique (Rivages noir), roman d’aventures moites sur fond de trafic d’armes en Amérique centrale et Paysage avec voyageur, déjà paru aux Presses de la Renaissance en 1983, auquel les éditions Rivages donnent aujourd’hui une seconde chance méritée.
Un jour, une vieille voyante a prédit à Francis Reeves qu’il n’aurait « pas beaucoup d’argent, pas beaucoup d’amour. Assez ». A-t-on jamais assez d’amour ? Francis Reeves, lui, pense en avoir reçu assez. Il regarde sa vie comme quelque chose de « triste » certes, mais dont « toutes les périodes » en fin de compte lui auront « plu » : l’enfance en Louisiane, le service militaire dans la marine, la carrière de danseur à Washington, son aventure amoureuse avec Ilya en Grèce, comme la vie qu’il mène aujourd’hui à New-york. Mais pourquoi faire un bilan à 48 ans ? Ces carnets, puisque Paysage avec voyageur est constitué de ses « carnets intimes », sont pour lui l’occasion de formuler la sagesse qui le réconcilie avec le monde, mais pourtant ils nous laissent en leur fin avec un personnage décalé par rapport au monde : « Francis Reeves est un anachronisme », écrit Barry Gifford. Ce décalage est assumé : « J’ai décidé d’aimer (le monde) et d’y vivre selon l’image que je m’en suis faite ». Mais il n’en reste pas moins en retard. Ce qui se manifeste parfois avec cruauté : « On dirait que je suis une vieille tante vraiment vieux jeu ».
Ainsi tous les discours de Francis Reeves pour célébrer sa réconciliation avec le monde sonnent creux.
Tout ce qu’il tente de fixer par écrit -et la médiation de l’écrit est pour lui très importante : « Le mot écrit est beaucoup plus réel, cela explique peut-être pourquoi j’écris toute cette histoire » -, toutes ses réflexions sur l’amour, l’amitié, le bonheur ne sont qu’autant de façons de faire de nécessité vertu. Il n’aura pas su aimer, mais « le truc c’est de comprendre à quel point tout le monde souffre -de le comprendre et de ne pas devenir fou ». Sa sagesse n’est qu’un truc qui lui sert à dire qu’en fait il n’a pas été heureux mais qu’il n’a pas été malheureux non plus : « Mis à part la tristesse inhérente à tous les humains, je suis en fait l’homme le plus heureux que je connaisse, bonheur chèrement payé, peut-être, mais bonheur néanmoins ». Bel exemple de mauvaise foi chez ce personnage qui vient d’écrire qu’ « il y a toujours toutes sortes de bonnes raisons pour se mentir à soi-même, mais au bout du compte aucune ne tient ».
Une remarque de Francis Reeves sur son rapport à la peinture et plus précisément aux paysages japonais éclaire le titre du roman : « Quand je les regarde, je deviens le voyageur, je quitte le monde « réel », je reste assis dans la solitude d’un nid d’aigle ». Ces « carnets intimes » sont la pathétique recherche d’un sujet pour rejoindre le réel (ou plutôt pour ne pas le perdre de vue) mais surtout pour se persuader qu’il vit en accord avec ce même réel.
Francis Reeves se demande quel livre, puis quelle musique il emmenerait sur une île déserte : « Un livre aux pages vierges comme celui sur lequel j’écris », « quelque instrument simple, une flûte à bec ou une flûte sans clef » comme la flûte alto renaissance qu’on lui livre à la dernière page du roman. Paysage avec voyageur est le livre de bord d’un naufragé solitaire au cœur de New-York qui essaie de se persuader en l’écrivant qu’il n’a pas échoué.

Paysage avec voyageur
Barry Gifford

traduit de l’américain
par Brice Matthieussent
Rivages poches
196 pages, 35 FF environ

Les vitamines du malheur Par Christophe David
Le Matricule des Anges n°9 , octobre 1994.
LMDA papier n°9
6,50