Si certains paraissent encore réticents à admettre la complaisance narcissique qui transparaît dans la majorité des écrits de Marcel Jouhandeau, voici un petit recueil qui pourrait bien leur ôter un dernier doute. Le Moi-même qui vient de paraître chez Actes Sud rassemble cinquante photographies de l’écrivain prises par Daniel Wallard à la fin des années 60 et au début des années 70.
Après Gide, Malraux et Aragon, l’auteur des Chroniques maritales et de l’Eloge de la volupté s’est livré à un jeu de miroir entre une subjectivité extérieure et la sienne qui n’est pas sans lui déplaire : « je préfère mille fois la photographie à la peinture parce qu’elle dépend de moins de parti pris. La photographie m’a toujours paru ressembler à un vol par effraction », écrit-il dans l’une des lettres adressées à Daniel Wallard et réunies à la fin de l’ouvrage. Mais peut-on encore parler d’effraction lorsque celui qui se trouve face à l’objectif se prend au jeu et accomplit un réel travail d’acteur ? Y a-t-il effraction lorsque le modèle se commente lui-même par de courts textes en faisant mine de se découvrir ou de s’expliquer ? Certes non, mais l’intérêt de cet exercice réside justement dans le dédoublement du Moi, le va-et-vient entre le bien et le mal, entre l’exaltation ou la destruction du sujet. « Dans le docteur qui enseigne, il y a toujours je ne sais (quoi) du cuistre, comme Dieu a pour ombre le Diable. Le ridicule et le sublime ont affaire ensemble, ne serait-ce que pour permettre l’antithèse ».
Ce livre réalise la synthèse des grands thèmes abordés dans l’oeuvre de Jouhandeau : Céline et Marc, ses enfants adoptifs, Elise, la danseuse Caryathis épousée en 1929 qui lui a inspiré les Chroniques maritales sur les difficultés de la vie conjugale, soi-même et Dieu, ici illustré par une photographie représentant l’auteur en Archiprêtre. Il est vrai que Jouhandeau, avant d’être professeur de lettres, se destinait à la prêtrise.
L’abstraction et la croyance mystique constituent d’ailleurs le fondement de la plupart de ses textes et, avec sa modestie habituelle, n’hésitait-il pas à écrire : « oserai-je avancer que dans la double tâche que je me suis donnée, celle d’enseigner et celle d’écrire, je n’ai cessé de me croire, consciemment ou pas, revêtu d’un caractère sacré ».
Le Moi-même
Marcel Jouhandeau
Photographies de Daniel Wallard
Actes Sud
130 pages, 98 FF
Histoire littéraire Un diable au paradis
mars 1995 | Le Matricule des Anges n°11
| par
Delphine Auger
Un livre
Un diable au paradis
Par
Delphine Auger
Le Matricule des Anges n°11
, mars 1995.