Dans la production de Kââ / Corsélien (quatorze romans depuis 1984 : dix, sous le nom de Kââ dans les collections Spécial Police puis Crime Fleuve Noir, quatre sous le nom de Corsélien dans la collection Gore), il y a deux types de héros. D’abord le « nameless » de La Princesse de Crève ou encore de Mental. Très professionnel et très individualiste, il sévit en gardant ses distances avec le Milieu dans l’Europe entière. Sans doute le truand le plus cultivé de l’histoire du roman policier. Hégélien, comme son créateur. Ensuite, le médecin de Bruit crissant du rasoir sur les os, le prof d’histoire de Retour au bal, à Dalstein ou encore le maire de Trois chiens morts. Des gens plutôt tranquilles qui se trouvent confrontés un jour à l’irrationnel ou à « une rationalité qui leur échappe » comme préfère dire l’auteur.
L’un des points forts du Marteau, c’est la description qu’il fait du phénomène de la haine. Simon Meuvois, architecte, qui a fait de la prison à la place de son associé en sort en proie à une haine qu’il tient à distinguer de sa volonté de vengeance : « J’attise ma haine jusqu’à ce qu’elle soit suffisamment puissante pour que j’ai envie de me venger ». La haine est une passion ; la vengeance un début de droit, donc de rationalité. Plus qu’une passion, la haine de Simon Meuvois est la tonalité de son rapport au monde tel qu’il lui apparaît en sortant de prison : « Le problème avec ma haine est qu’elle ne parvient pas à se fixer exactement sur quelqu’un ». Problème pratique et théorique : « Et puis j’appelais cela ma haine, mais en était-ce vraiment ? Vaine discussion : ce qui est de la haine et ce qui n’en est pas ». Vaine, non pas parce qu’elle est inutile mais parce que le phénomène même de la haine n’est pas, d’après l’auteur, rationnel : « La théorie a besoin de concepts, de rigueur. Or n’est-ce pas justement ça qui interdit d’accéder à l’essence du Mal ? Moi, je crois que le Mal n’est pas rigoureux. S’il était rigoureux, il serait maîtrisable, et s’il était maîtrisable, on serait tranquilles ».
Les derniers Kââ ne sont plus vraiment des romans policiers. On y trouve bien des truands, des policiers et des magistrats, mais ils s’inscrivent dans la droite ligne du Gore. Il s’agit d’y explorer les confins de l’humanité et de la bestialité, mais une bestialité qui n’est pas celle des bêtes, une bestialité dont seul l’homme est capable.
Le Marteau
Kââ
Crime Fleuve noir
189 pages, 35 FF
Domaine français A coups de marteau
mars 1995 | Le Matricule des Anges n°11
| par
Christophe David
Un livre
A coups de marteau
Par
Christophe David
Le Matricule des Anges n°11
, mars 1995.