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Théâtre Au chantier de la parole

septembre 1995 | Le Matricule des Anges n°13 | par Maïa Bouteillet

Il y a dix ans déjà, les acteurs, techniciens, metteurs en scène et auteurs d’Hérisson se lançaient dans une écriture commune. En quelques semaines Panique à Villechauve était né. Le chantier commun, cette année, a suivi d’autres chemins. Poussé par l’envie de monter un peplum, Wenzel s’arrête assez vite à Spartacus, celui de Kubrick d’abord, avant que ne s’impose le roman d’Arthur Koestler. « J’ai été littéralement scotché par son texte. Koestler a toujours été au cœur des choses, c’était un actif, un intellectuel combattant et ses écrits sont emprunts d’une dimension de violence, profondément humaine ». Farouchement anti-nazi, l’écrivain hongrois n’a cessé de dénoncer les dérives autoritaires du Parti communiste qu’il quitte peu après son engagement aux côtés des républicains espagnols. En fait de peplum, le soulèvement contre Rome dévie carrément vers un théâtre politique. « Koestler pose la question du passage douloureux de la révolte à la révolution. Attentifs toujours à l’écriture contemporaine, nous avons demandé à des auteurs de lire le roman et d’en donner leur propre résonnance ». Des lectures de Serge Valletti, Mohamed Rouabhi, Didier Georges Gabily, Joël Jouanneau, Yves Reynaud et Paul Allio, est né Zpardakos ! La révolte des mouiseux, pièce-manifeste derrière laquelle surgit l’utopie d’Hérisson.
Fragiles prémices d’une embarquée commune le texte chamailleur de Valletti a d’abord dérouté ses commanditaires. « C’est un texte très beckettien, c’est assez cynique mais finalement très vrai. Comment débattre de révolte alors que nous sommes tous encombrés de choses minuscules ? ». Ici pas de personnages, mais toujours l’idée de communauté « de partage du chœur des gens qui transmettent une histoire ». A l’opposé, Jouanneau a choisi d’endosser la parole de celui qui ne se reconnaît pas dans le groupe et renonce. Fallait-il ou non conserver ce texte ? En brisant l’unité des « mouiseux », l’auteur ébranlait l’esprit de troupe. Mais déjà, dans le texte de Koestler, le vieux Nicos se refusait à suivre les rebelles. Yves Reynaud annonçait d’emblée cet écueil, après un très bel inventaire sur la liberté. « Etre libre c’est avoir peur de ne plus l’être. Etre libre c’est fatiguant. Etre libre c’est avoir faim. Etre libre c’est savoir qu’on va mourir ». Par la voix très lyrique de Rouabhi -donnée par bonheur en arabe et en éthiopien- les guerriers thraces se feront aussi les porte-parole de tous les peuples opprimés. Impossible de rendre toute la richesse de ce festin de paroles dont on retiendra longtemps le long monologue de Gabily. Choisi pour fermer la marche, les dernières lamentations d’une charette chargée de morts sonnent le glas de toutes les révolutions. Bouleversé par la lecture de Koestler, Gabily lui rend hommage en prêtant vie à l’objet de bois, utile aux hommes et plus modeste encore que l’esclave.
M.B.

Au chantier de la parole Par Maïa Bouteillet
Le Matricule des Anges n°13 , septembre 1995.
LMDA papier n°13
6,50