Le point de départ de ce roman est d’une banalité navrante : un homme que sa femme quitte pour son meilleur ami. Une situation comme celle-là est la porte ouverte aux meilleures façons d’écrire un mauvais livre.
Et c’est vrai qu’il commence mal, voilà notre narrateur qui se surnomme Kadabideur (?) errant la nuit au volant de son cabriolet de luxe (Monsieur dirige une agence de pub), fumant cigarette sur cigarette, les pensées en roue libre, le whisky à portée de main, la divagation dépressive avec bien sûr comme décor poisseux la pluie, l’incontournable pluie, symbole humide des âmes en chute libre (il pleut sur la ville comme il pleut dans mon cœur).
On continue quand même car quelque chose agace dans le style, attire et repousse en même temps. « Mes organes, c’est toutes mes certitudes. Je suis si lâche que je serais capable d’en faire un poème -mes poumons aux ailes oranges ! O ceci, ô cela mécouilles ».
Très vite, la bifurcation. Direction : le sexe. Sans fioritures. Arrêt dans un sex-shop, achat de revues pornos, de vidéos X et d’un anus pocket (godemiché fait pour être porté en permanence). Que se passe-t-il ? « Toutes nos angoisses sont-elles là, dans nos ventres ? » L’explication est peut-être là. Notre homme a perdu ses repères, la construction normative de sa vie (je suis marié, j’ai un boulot, je suis normal) s’effondre et les démons sont lâchés. Le refoulé jaillit avec une violence incompressible. L’anus-pocket est immédiatement utilisé. Rien d’autre n’existe que le sexe dans ce qu’il a de plus plus cru, dégagé de tout affect. La frontière de l’érotisme et de la pornographie est pulvérisée. Il s’agit d’un autre territoire, une zone sans règle du jeu. La suite est-elle vraisemblable ? Peu importe. Personne ne sait de quoi l’homme est réellement capable. Voilà Kadabideur enchaîné (dans tous les sens du terme) prisonnier d’une secte sado-maso tendance serial killer : Sex vox dominam. Prisonnier ? Réellement ? Miss Demoniac et Mister Diabolic n’agissent-ils pas en définitive comme révélateurs de la face cachée de Kadabideur ? Ne font-ils pas plutôt sauter le verrou de la cave aux horreurs ? Kadabideur va et vient entre la réalité et son monde secret. Pire que ça : il fait des taches sur son quotidien, de sang, de merde, de foutre, d’urine. Personne n’en sort indemne.
Ce livre ne va pas plaire. Il n’a rien pour séduire, il ne cherche pas à se justifier, à se faire pardonner. Richard Morgiève dit que Kadabideur « essaye juste de s’en tirer, de s’en sortir vivant ». Voire. La phrase hoquète sans arrêt, n’est jamais terminée. La ponctuation est décalée. Ce que l’on prenait pour un effet de style se trouve être le souffle de l’angoisse et de l’infâme plaisir. Rien de paisible. Morgiève n’harmonise pas son récit et fout la technique en l’air. Les mots inutiles sont supprimés, les autres répétés inlassablement. Il n’évite même pas les maladresses et les lourdeurs. Il n’y a rien de poli dans ce roman, la finition n’est pas comprise. C’est l’histoire d’un homme un jour qui a arraché son masque.
Dans ces conditions, c’est sûr, ce livre ne va pas plaire.
Sex vox dominam
Richard Morgiève
Calmann-Lévy
218 pages, 92 FF
Domaine français Sexe de sauvetage
novembre 1995 | Le Matricule des Anges n°14
| par
Alex Besnainou
Avec ce livre hors-norme, Richard Morgiève détruit sur son passage tout ce qui ressemble Mal. Mot de pass Sex vox dominam ;.
Un livre
Sexe de sauvetage
Par
Alex Besnainou
Le Matricule des Anges n°14
, novembre 1995.