Si un lecteur de La Vie est une blague de Stephen Dixon rencontrait un autre lecteur du même, le dialogue qui s’en suivrait risquerait fort de ressembler à quelque chose comme seuls deux initiés seraient capable d’en échanger, œil brillant à l’appui et sous-entendus lourds de sens. C’est que Stephen Dixon est un maître es nouvelles, créateur d’un monde à lui soumis à ses propres règles de fonctionnement. Pourtant il n’eût pas fallu grand-chose pour qu’il ne soit qu’un de ces nouvellistes américains de plus, bourré de talent et capable d’inciser la société de là-bas pour en ressortir le substantifique reflet. Mais voilà, notre bonhomme a une dimension supplémentaire et pas des moindres puisque, non content d’être d’une finesse remarquable quant à l’observation de ses semblables et des motivations qui les animent, Dixon n’hésite pas à franchir la limite de la réalité pour donner vie au final à une vérité plus juste encore. La première nouvelle de ce recueil donne le ton, c’est juste l’histoire d’une lettre de rupture qu’un homme lit et relit après l’avoir déchirée. Mais le texte de la lettre n’est jamais le même. Il se continue, se recoupe et forme le texte jamais écrit réellement.
Un peu plus loin, dans un autre récit, un couple bat de l’aile. Plus que sérieusement. La femme décide alors de faire appel à la déesse Circé pour un philtre d’amour, enfin c’est ce qu’elle dit à son bonhomme tout déprimé, lequel n’est pas dupe mais joue néanmoins le jeu. Et voilà que nos deux adversaires se mettent petit à petit à être complices et heureux à nouveau. Jolie histoire mais naïve si elle s’arrêtait là. Justement, elle n’est pas terminée : aprés quelques années de bonheur, notre héroïne tombe gravement malade. Son homme appelle en rêve Circé qui lui dit ce qu’il faut faire pour la sauver. Il le fait et elle meurt. Ne cherchez pas la moralité, il n’y en a pas. C’est juste que la vie est une blague comme a été si bien traduit le titre original The Play par Christine Rimoldi. Une plaisanterie terriblement drôle par moments et salement amère à d’autres. Exactement comme le style de Dixon, manieur émérite de langage, de personnages farfelus et de regards terriblement humains. « Il n’y a que quelque chose de nouveau qui puisse m’intéresser » dit un des héros. On serait tenter de lui répondre : lis le recueil de Stephen Dixon.
La Vie est une blague
Stephen Dixon
Traduit de l’américain
par Christine Rimoldi
10/18
251 pages, 44 FF
Domaine étranger Une bonne blague
novembre 1995 | Le Matricule des Anges n°14
| par
Alex Besnainou
Un livre
Une bonne blague
Par
Alex Besnainou
Le Matricule des Anges n°14
, novembre 1995.