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Théâtre Le théâtre du deuil

février 1996 | Le Matricule des Anges n°15 | par Laurence Cazaux

A presque 50 ans, Philippe Minyana est l’un des dramaturges français les plus connus. Recontre avec un invent de formes théâtrales.

Gang (L’Avant-scène théâtre N°972)

Nous avons volé quelques heures de travail à Philippe Minyana, dans sa retraite de la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon où il peaufinait l’écriture de La Maison des morts. Ambiance feutrée dans une bibliothèque dédiée au théâtre, où l’on aimerait bien s’installer plusieurs jours. Philippe Minyana, d’une grande pudeur, préfère écarter les questions personnelles pour ne parler que de l’écriture et de la scène auxquelles il se voue passionnément.

Vous êtes venu au théâtre tardivement, quel est votre parcours ?
Ce parcours est banal. Des études de lettres à Besançon. L’écriture, omniprésente et interdite par ma mère. Il m’a fallu des événements très violents pour surmonter cet interdit. L’écriture devient alors indispensable et salvatrice. En1980, je pars pour Paris, où je suis « né » à 33 ans. À l’époque, je voulais être comédien et auteur. Depuis j’ai jugé qu’être comédien n’était pas mon affaire, je n’aime pas dépendre esthétiquement des autres. J’ai fait un stage avec un élève d’Antoine Vitez, Carlos Wittig. Et je jouais des textes de Vinaver, un des grands auteurs contemporains, réinterrogeant les codes du théâtre. Tous deux m’ont tout appris.
D’autres écrivains vous accompagnent-ils dans votre œuvre ?
Samuel Beckett pour sa noirceur, l’horreur jubilatoire, roborative, Thomas Bernhard aussi et Nathalie Sarraute. Son dernier roman, Ici, est impressionnant. Il porte un regard clinique sur l’homme, sans complaisance, ni faux romantisme. C’est organisé comme de l’arithmétique, comme de la musique, c’est fascinant.
Votre écriture est obsessionnelle avec des thèmes récurrents comme ceux de la violence, de la guerre, du meurtre, du deuil…
On ne fait pas de l’art avec du rose. C’est toujours lié à l’inévitable, à savoir que nous ne sommes pas immortels. Parler d’amour ne m’intéresse pas. En fait, j’essaie d’associer la clownerie, le grotesque et la mort.
Comment se passe l’acte d’écrire ?
Il y a toute une période d’incubation où je lis beaucoup et je prends des notes. C’est un travail de fourmi. Je collectionne les faits divers. Ils sont exemplaires de la barbarie, de la perdition de l’homme. Je remplis des dossiers sur différents sujets, actuellement sur la misère et sur le chagrin. Après cette période d’incubation, j’écris jour et nuit. Je perds la notion du temps, je ne m’alimente plus ou mal. Je travaille et je réécris beaucoup. C’est très douloureux et violent. L’écriture peut se faire à coup de dépression mentale, même si dans la vie je ne cultive pas la mélancolie.
La langue théâtrale est sonore, elle doit être en bouche. Alors je dis mes textes à haute voix. Ou bien je pense à un comédien précis comme Catherine Hiegel pour qui j’écris la Maison des morts. C’est un travail proche du poème, sur les assonances, les allitérations… Enfin, comme pour Drames brefs, l’écriture se termine au plateau, avec les comédiens.
Drames brefs, Gang ou Les Guerriers sont des pièces très différentes les unes des autres. Percevez-vous une évolution de votre écriture ?
Pour moi l’évolution se situe en trois temps. Mes premières pièces comme Ruines romaines ou Fin d’été à Baccarat sont assez thérapeutiques. Elles incluent beaucoup de mon histoire propre, des glissades, de la province… Puis en 1988, je fais partie de la première résidence d’écrivains de théâtre à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon. De nombreux échanges sur l’écriture avec Michel Azama (un dramaturge publié régulièrement aux éditions Théâtrales, ndlr) aboutissent à un rejet du biographique, du psychologique et du quotidien. Le théâtre doit faire résonner le monde et non plus la chambre. Je cherche alors à réinterroger la forme épique et faire vivre non pas des personnages mais des figures. En 1988, nous étions en pleines guerres, Le Liban, L’Iran-l’Irak. Les thèmes de la violence, de l’affrontement reviennent souvent dans Ou vas-tu Jérémie ? ou Les Guerriers. Enfin la troisième période, actuelle, (Drames brefs (1), La Maison des morts) que j’intitule avec coquetterie mes pièces climatiques et mortifères, inaugurent un cycle de pièces de deuil de tout.
Inventer une forme de théâtre, proche de la nouvelle par exemple pour Drames brefs (1), est-ce un moteur d’écriture ?
La recherche de la forme me pousse à faire du théâtre. Les formes brèves sont très fréquentes lors des fins de siècles. Les petites formes m’ont intéressé comme des suites de musique… Pour Drames brefs (1), j’ai travaillé sur le deuil, la perte de la mère. J’aimerais poursuivre avec deux autres Drames brefs, un sur le chagrin, un autre sur la misère. La Maison des morts est mouvements. Une femme traverse des maisons de pièce en pièce en étant témoin ou actrice de rite de mort…
La lecture de Drames brefs est énigmatique. Cela vous dérange-t-il qu’un lecteur puisse ne pas tout comprendre d’une de vos pièces ?
Non, cela ne m’intéresse pas de raconter des histoires. Je préfère troubler. Bien sûr, je n’écris pas pour être incompris. Mais moi-même, le plus souvent, je n’en sais pas plus que le lecteur ou le spectateur. Drames brefs (1) est un travail sur l’insaisissable, sur les moments de fugacité, de dérapages de l’humain. L’acte poétique ne vise pas à comprendre mais à ressentir.
Comment Philippe Minyana, metteur en scène, fait-il travailler ses textes aux comédiens ?
Je dis souvent aux acteurs avant leur entrée en scène que leurs corps doivent être anormalement tendus. J’aime la forme, la stylisation. Je travaille beaucoup sur le son. Je cherche comment les acteurs parlent le texte : haut, fort, petit ? Avec quel volume, quelle voix, quelle couleur, quelle intensité sonore ?… Un texte se travaille comme une partition. Je ne crois ni au personnage, ni à l’incarnation. Pour Marguerite Duras, l’acteur est un passeur de mots. Alors, je cherche comment l’acteur passe les mots, la tessiture de sa voix, la position de son corps. On n’utilise pas assez la feinte, le faire-semblant. Le code du théâtre est beaucoup moins riche que la variété des simulacres de la vie.
Vous êtes un auteur très joué. Accordez-vous facilement les droits de vos pièces ?
Quand la pièce a été créée, oui, toujours, aux amateurs comme aux professionnels.
Vous écrivez parfois des textes sur commande ?
J’adore les commandes. Il y a des contraintes extraordinaires qui exigent une grande concentration et une honnêteté minimum. Et puis, on est certain d’être joué, c’est un luxe. Pour écrire Gang (une commande de la compagnie Jean-Vincent Brisa située à Grenoble, ndlr), j’ai eu un an de travail d’enquête, de recherche en bibliothèque. C’est passionnant.
Vous travaillez beaucoup avec des jeunes. Pourquoi ?
C’est un mode de vie. Mon rêve pour mes 50 ans, c’est de lier la création et la formation. La formation d’acteur est une passion forte qui me nourrit beaucoup. J’aimerais trouver un lieu qui me permette de mêler ces deux activités.

Drames brefs (1)
Éditions Théâtrales
77 pages, 90 FF
Gang
L’Avant-Scène
53 pages, 62 FF

Le théâtre du deuil Par Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°15 , février 1996.