Dans sa préface, précisément intitulée Nimier et la philosophie, Dominique Noguez abandonne cette phrase faussement anodine : « En vérité, Nimier n’est pas philosophe. » Faussement anodine parce qu’elle en dit trop ou trop peu, contraignant le lecteur à y aller voir de plus près et à découvrir un auteur envers lequel la littérature contemporaine manque singulièrement d’égards.
C’est effectivement ce qu’indiquent les notices biographiques : Roger Nimier n’était pas philosophe. Il fut successivement romancier -il signa d’ailleurs quelques beaux romans comme Les Épées et Le Hussard bleu (tous deux chez Gallimard, respectivement en 1949 et 1950)-, essayiste, critique littéraire, journaliste, avant que d’aborder le cinéma auprès d’Antonioni et de Louis Malle. Une carrière littéraire qu’aucun prix majeur n’a couronnée et qui fut interrompue en 1962 par un accident de voiture ; Nimier était âgé de trente-sept ans et il s’apprêtait à renouer avec le roman.
Après lecture de ce Traité d’indifférence -réunion posthume de huit petits traités probablement rédigés dans les années 1950-, difficile de dire si Roger Nimier y philosophe ou s’il feint d’y philosopher. Difficile même de savoir tout simplement ce qu’il examine ou interroge tant le développement argumentatif manque de limpidité, sinon d’éloquence. Dans les premiers textes de ce spicilège, on croit que Nimier veut en découdre avec des questions fondamentales : Pourquoi est-il si difficile de se connaître soi-même ?, À quels signes reconnaît-on l’intelligence ?, Qu’est-ce qu’un péché ? (trois des huit titres de ce volume). Mais à question complexe réponse indéchiffrable, ainsi qu’en témoigne cette curieuse liste censée illustrer, ou définir, ce qu’est un péché : « Le mensonge. Le vol. La bêtise. La lâcheté. Le crime. L’insolence. L’ignorance. La faiblesse. Le sommeil. Les nerfs. L’imposture. Visite des musées. Le pittoresque. Le divorce. Le dogmatisme. Le friable. Le bavardage. Le lucre. L’ambition. L’ennui. La médisance. Le rien. La connaissance. Idées conservées. Huile de cœur. L’appendice haineux. La cigarette », c’est-à-dire à la fois tout et rien. Et quand la réponse condescend à la clarté, c’est pour traiter par l’absurde les questions qui ont pourtant fait couler le plus d’encre, à commencer par celle de la liberté : « Voilà sans doute une question assez bête. » On croit rêver !
Si la philosophie fait souvent défaut, les surprises, elles, ne manquent pas. Que penser par exemple de cette phrase par laquelle s’ouvre À quels signes reconnaît-on l’intelligence ? : « Moi, monsieur, je vous dirai que le Hitler s’est conduit comme un con » ? et de Nimier lui-même qui cherche, aussi méthodiquement que certains personnages nabokoviens, comment faire disparaître définitivement quelqu’un ?
Ces traités paraissent avoir été écrits à seule fin de malmener le lecteur, lui imposant des maximes peu révérencieuses, quand il ne s’agit pas de provocations un peu trop grinçantes : « le comportement intelligent s’oppose à toutes les formes d’automatisme. Il s’adapte, il innove, ce que Hitler a fort bien fait, car on n’avait jamais eu l’idée avant lui de martyriser autant de gens avec autant d’hygiène »… On ne sait s’il faut sourire ou s’indigner.
À la vérité, ce Traité d’indifférence manque franchement de lisibilité, et c’est avec un vrai sourire que l’on accueille la boutade de son ami Bougereau : « Le divorce présente deux inconvénients. On se retrouve tout seul dans une chambre d’hôtel. Et puis on se remarie. » La sagesse, à défaut de la philosphie !
Didier Garcia
Traité d’indifférence
Roger Nimier
Le Dilettante
88 pages, 79 FF
Domaine français L’apprenti philosophe
septembre 1996 | Le Matricule des Anges n°17
| par
Didier Garcia
Compilation posthume de huit textes brefs pour découvrir la rhétorique complexe de Toger Nimier. Complexe, et parfois peu lisible.
Un livre
L’apprenti philosophe
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°17
, septembre 1996.