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Domaine étranger Juan Marsé : confessions de deux masques

septembre 1996 | Le Matricule des Anges n°17 | par Christophe David

Avec L’Etrange Disparition de R. L. Stevenson et L’Amant bilingue, Marsé, le citoyen de Barcelone rend hommage inattendu à Stevenson, l’aventurier anglais. Où l’on assiste à l’actualisation d’un mythe littéraire.

L' Etrange Disparition de R. L. Stevenson

L' Amant bilingue

Deux textes de Juan Marsé paraissent presque simultanément en français. Un roman, L’Amant bilingue (1990), qui raconte comment, pour reconquérir sa femme, un homme devient (mentalement et physiquement) un autre et tire un trait sur son identité. Une « fable », L’Étrange Disparition de R. L. Stevenson (1994) qui, elle, rapporte l’histoire d’un écrivain qui, pour s’être tenu à l’écart des médias, finit par perdre toute concrétion sensible, par devenir une simple image puis par disparaître. Ces deux destins sont deux versions du mythe littéraire dont Stevenson a donné les grandes lignes, celui du Dr Jekyll et M. Hyde. Ces deux textes de Juan Marsé se complètent et finissent par dresser un inventaire des schizophrénies auxquelles cèdent les Catalans et les autres.
Joan Marés, l’anti-héros de L’Amant bilingue, est le fils d’une chanteuse de music-hall alcoolique et d’un illusionniste qui se faisait appeler Fu-Ching. Son enfance, il l’a passée « avec la bande crasseuse du quartier » à rôder autour d’une « fantastique villa en rêvant d’aventure ». Ce palais, « une villa moderniste à coupoles dorées, séparée de la rue par une grille interminable (dont) les coupoles brillent comme de l’or » et dans lequel de riches Catalans jouaient dans leur langue et en costume le répertoire que le franquisme interdisait dans les théâtres, lui semblait alors plus merveilleux que réel. Quand le hasard lui fera rencontrer puis épouser Norma Valenti, l’actuelle « princesse » du palais de son enfance, le rêve deviendra réalité. Quand la « charmante princesse » le quittera, égaré dans la réalité, il se composera un personnage de mendiant accordéoniste (Jekyll) qui dans sa folie « engendrera » à son tour le personnage de Juan Faneca (Hyde) pour reconquérir Norma.
C’est pour vaincre sa timidité face aux caméras que R. L. S., l’anti-héros de L’Étrange Disparition de R. L. Stevenson, l’autre Dr Jekyll de Juan Marsé, doit, lui, devenir un M. Hyde agressif, aussi agressif qu’il est impuissant : « Le besoin de se montrer et de se faire remarquer devenant de plus en plus vital et urgent ), (R. L. S.) n’hésitait pas à employer les ruses les plus insignifiantes, en particulier les joutes verbales en direct à des heures de grande écoute ».
Finalement c’est toujours après avoir refusé dans un premier temps d’être eux-mêmes et s’être cachés sous des masques ou des pseudonymes que les Dr Jekyll de Marsé se perdent. La morale de ces histoires -les romans de Marsé ont toujours une morale- semble être : à vouloir devenir autre que celui qu’on est, on finit par n’être plus rien, par n’être plus qu’un « fantôme ».
Le propos de Marsé n’est pas simplement de réécrire un classique et d’en donner son interprétation. Comme tous les grands mythes littéraires, celui du Dr Jekyll et de M. Hyde est susceptible de nous dire quelque chose d’aujourd’hui. Sous la plume de Marsé, ces deux histoires utilisent ce mythe comme une grille de lecture de l’Espagne et plus précisément de la Catalogne actuelles. Juan Marsé dont un lieu commun tenace veut qu’il soit l’écrivain de la mémoire, du passé, de la Barcelone de l’après-guerre, celle de la répression et de la misère (combien de fois a-t-il dû entendre cette question qu’un journaliste pose à R. L. S. : « Vous savez, moi je n’ai presque rien lu de vous, vous me pardonnerez, mais on m’a dit que vous n’écriviez que sur le passé ») est aussi, et ces deux textes le prouvent à l’envi, un écrivain du présent.
L’anti-héros schizophrène de L’Amant bilingue est déchiré entre deux personnalités : celle du Catalan Joan Marès et celle du Charnego1 Juan Faneca. Schizophrénie linguistique qui est celle de la Catalogne qui veut, pour devenir toujours plus catalane, appliquer son plan de normalisation linguistique et dont les fonctionnaires de la Direction générale de la politique linguistique sont incapables de traduire « pot d’échappement » en catalan : « Eh bien, vous savez, mon bon Monsieur, vous nous mettez dans l’embarras… Là, tout de suite, nous ne pourrions pas vous dire ça de façon sûre. Ça pourrait être « tubs d’escapament », vous voyez ? » Le livre se clôt sur une allégorie qui se veut le symbole d’une santé ou d’un équilibre possibles : le schizophrène Joan Marès-Juan Faneca qui gagne désormais sa vie en chantant des sardanes catalanes déguisé en torero (andalou) faisant avec un lourd accent charnego, dans un mélange inouï de catalan et de castillan : « Moi z’aime le métissaze, Monsieur, les mélanzes, les combinassions, allez, c’est la fin des explicassiones, des zaricots, que Dieu vous protèze i passiu-ho bé, senyor ». Finalement une schizophrénie bien « gérée » semble être pour Marsé plus proche de la santé qu’un nationalisme trop simpliste. C’est d’ailleurs ce que lui-même, écrivain catalan de langue castillane a choisi de pratiquer.
La schizophrénie que révèle le mythe dans L’Étrange Disparition de R. L. Stevenson, n’est pas propre à la Catalogne. C’est aux effets que produit la télévision dans la vie littéraire que s’attaque ici Marsé. Que cette critique vienne d’Espagne ne fait d’ailleurs que souligner le caractère donquichottesque de ce combat : une soixantaine de pages de littérature pour attaquer la réduction spectaculaire de la personne de l’écrivain à laquelle se livre la télévision. En moraliste, Marsé choisit le genre de la fable pour décrire de façon oblique les paradoxes d’un système qui résiste à toute attaque frontale. « Si tu ne passes pas à la télé, tu n’existes pas » dit-on à R. L. S. mais si tu y passes, tu y disparais, semble dire Marsé qui ne tombe pas pourtant dans la facilité qui consiste à diaboliser la télévision. « Ce pays a la télévision qu’il mérite », dit un personnage de L’Étrange Disparition de R. L. Stevenson.
Si L’Étrange Disparition de R. L. Stevenson est un (très juste) texte de circonstance2, on ne peut pas ne pas insister sur la subtilité de la construction qui commence toujours par poser des détails, l’air de rien, pour ne les faire résonner que plus tard, sur le jeu non manichéen du Je et du Il dans l’écriture d’un texte dont une (dé)raison schizophrénique ordonne le chaos ou encore sur la cohérence toute baroque de cet univers de masques et de miroirs. L’Amant bilingue est avec Teresa, l’après-midi, Adieu la vie, adieu l’amour et L’Obscure Histoire de la cousine Montsé l’un des grands romans de Juan Marsé.
Christophe David

1 « Charnego », c’est le nom assez méprisant que les Catalans donnent à ceux qui sont venus de Murcie ou d’Andalousie pour travailler à Barcelone et ne parlent pas catalan.
2 C’est la contribution de Juan Marsé aux Cuentos de la isla del tresoro, un livre conçu pour le centenaire de la mort de Stevenson en 1994.

L’Étrange Disparition
de R. L. Stevenson

Traduit de l’espagnol par
Xavier de Castelré
Climats
70 pages, 60 FF

L’Amant bilingue
Traduit de l’espagnol par
Jean-Marie Saint-Lu
Christian Bourgois
246 pages, 130 FF

Juan Marsé : confessions de deux masques Par Christophe David
Le Matricule des Anges n°17 , septembre 1996.
LMDA PDF n°17
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