Comme Tombouctou et Kuala Lumpur, Zanzibar est la destination privilégiée des voyageurs virtuels, des chemineaux en devenir, esclaves de leurs habitudes ou tributaires d’intérêts contrariants. Ces villes réputées chaudes et ensoleillées grisent d’évocations lumineuses. On les devine accueillantes mais elles conservent cependant une part mystérieuse. Existent-elles vraiment ? Ne sont-elles pas le fruit d’imaginations trompeuses, de récits mystifiants ?
Du Côté de Zanzibar, le deuxième roman de Robert de Goulaine (après Le Dernier Ange, Critérion, 1992) aborde cette question essentielle de géographie littéraire. Sans mettre le pied à Zanzibar, et de loin, il offre au doute de nouveaux territoires. Tout est énigmatique dans ce roman, jusqu’au personnage principal : Jean de Tistanel, hobereau de province au maintien du siècle passé, chevalier courtois et plein de retenue.
L’homme « de haute stature, aux yeux très bleus, le nez en bec d’aigle, le visage encadré d’abondants favoris » vit de fermages. Au terme de sa vie active, il désire entrer en littérature comme on entre dans les ordres et pour ce faire décide de quitter le cadre lénifiant de sa retraite familiale. Aussi prend-il la route après avoir vendu un tableau précieux, délaissant femme et enfants. Chargé d’une valise de louis d’or et du Larousse du xixe siècle (un encombrant bagage), il fait une première étape à l’Hôtel d’Angleterre et du Commerce réunis d’Adélaïde Beaurivage. Celle-ci, passionnée d’ésotérisme transforme sous l’influence du chevalier son immeuble bien prosaïque en « Zanzibar Palace », paquebot de croisière. La clientèle, embarquée malgré elle, joue le jeu et fonde une sorte de communauté dont la douce utopie, enfantine du reste, prendra fin dans un malheureux feu d’artifice.
Artifice, c’est bien le mot. Comme le voyage de Tistanel s’alanguit dans des amours jeunettes, des chasses au papillon, des visites à Zombie, le conservateur d’un musée des monstruosités - « Perdre son temps est une vieille malice de la campagne » dit Tistanel-, on est en droit de se demander si égarer le lecteur n’est pas la malice de Robert de Goulaine. Faux départs, promenade inachevée, la destination n’est plus celle que l’on croyait. Au terme de sa quête, le chevalier s’adresse une lettre poste restante à Zanzibar où il pose cette question : « Que feras-tu les soirs d’hiver (…) lorsque tu seras fatigué de tisonner l’imaginaire du bout de ton pique-feu ? ». Du voyageur résigné au rentier en robe de chambre la question est aussi vieille que la littérature. Elle clôt ici l’ouvrage en répondant à la nouvelle inachevée de Tistanel que de Goulaine plaçait en introduction, comme un appât pour lecteur imprudent. Écrire ou vivre, voilà qui revient à choisir entre Achille ou Homère, Tistanel ou Don Quichotte, entre les récits d’explorateurs et le Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre. « Quelle est la farce ? » demande encore de Goulaine à son personnage. Celui qui se laisse porter par les événements navigue dans l’entre-deux inconfortable du vouloir et du faire. Homme lucide ? indifférent ? Le chevalier de Tistanel n’a pas fini de susciter les questions.
Du Côté de Zanzibar
Robert de Goulaine
Bartillat
160 pages, 96 FF
Domaine français Les moulins de Zanzibar
mars 1997 | Le Matricule des Anges n°19
| par
Éric Dussert
Au prétexte d’un voyage définitif, Robert de Goulaine promène le nonchalant chevalier Jean de Tistanel au pays sans limite du doute.
Un livre
Les moulins de Zanzibar
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°19
, mars 1997.