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Domaine français Danse intercontinentale

mars 1997 | Le Matricule des Anges n°19 | par Christophe Fourvel

La danseuse Susan Buirge publie des notes de travail ramenées d’un périple lointain. Comme un autoportrait furtif dans les glaces des hôtels.

En allant de l’ouest à l’est

Susan Buirge est une chorégraphe américaine installée en France depuis 1970. Issue de la post-modern dance, danseuse de Alwin Nikolais, elle fonde sa propre compagnie en 1975 et prend une belle part, autant par ses chorégraphies (une soixantaine à ce jour), que par la qualité de son enseignement, au développement de la danse contemporaine française.
En allant de l’ouest à l’est est son premier livre publié. Écrit pour l’essentiel directement en français, il est constitué de carnets que la chorégraphe rédigea lors de plusieurs voyages effectués entre 1989 et 1993. À ce journal nomade, elle adjoint une ultime partie, Les Soubassements de Matomanoma, écrite sous la forme identique de notes, lors d’une résidence à la Villa Kujoyama à Kyoto. La route parcourue par ce livre traverse essentiellement six pays : l’Éthiopie, la Syrie, la Grèce, l’Inde, le Japon et Taiwan. Outre la richesse de leur civilisation, c’est le rapport à l’espace qu’entretiennent ces civilisations millénaires qui intéressent la chorégraphe : « je voulais donc voir comment l’espace était lu et perçu dans d’autres cultures où l’écriture n’était pas nécessairement disposée de gauche à droite, horizontalement, et où la perspective n’avait pas été autant élaborée comme une référence esthétique. » Force est de constater que tout au long de ce livre, le regard porté par l’auteur sur le quotidien, les lieux, reste remarquablement habité par ce souci de l’organisation spatiale. De cela résulte un rapport au monde que certains trouveront singulier, selon lequel les êtres, les choses, se définissent d’abord par la place qu’ils occupent les uns par rapport aux autres plutôt que par leur physionomie, leurs caractères. Le livre trouve là un ciment efficace : son propos le tiraille de l’intérieur. La quête qu’il poursuit infiltre sa langue et l’articule.
De quoi au juste est-il question dans ces carnets ? Entre les passages directement consacrés à l’étude des spectacles qui n’intéresseront que les amateurs éclairés, ce journal de voyage nous conduit au cœur des marchés éthiopiens, sur la terre de Mycènes, dans le sanctuaire d’Apollon, les sites sacrés d’Alep. Pas loin de ces derniers, en Syrie, Susan Buirge relate avec une belle précision, en décalage par rapport au ton nécessairement laconique et impressionniste de la note, des cérémonies mystiques de transe, au sein de la confrérie « des hommes qui se percent ». Puis la curiosité de l’auteur s’émousse au fil des pages pour devenir plus exclusive ; peu à peu le voyage devient moins dilettante et dans les trois derniers chapitres rédigés en Inde, à Taiwan, au Japon, Susan Buirge ne consacre plus guère son attention qu’à la scène théâtrale ; paradoxalement, c’est peut-être là que son propos nous intéresse le plus, au moment même où il devient ce murmure presque inaudible de monologue de travail, il touche à une question fondamentale, celle de la transmission, de la conservation d’une mémoire et de la transformation d’un art.
Comment se comporter avec notre héritage ? Comment faire de notre connaissance du monde une richesse plus qu’un appauvrissement ? La difficulté d’être contemporain tout en assurant la pérennité d’une culture millénaire se confond avec celle d’être soi-même, d’assumer sa singularité comme son hérédité. La question déborde la problématique du chorégraphe pour devenir celle de chacun. Ainsi ce constat, comme un relevé de l’écueil, une jauge plongée dans notre quotidien commun : « je viens de voir ce que je redoutais : un spectacle de danse moderne taiwanaise. Un panachage de styles divers de la danse contemporaine américaine, de la technique du ballet classique et des décors chinois… Ce spectacle est un curieux repas : hamburger américain, crêpes bretonnes et nouilles chinoises… Mettre trois recettes ensemble ne fera jamais une chorégraphie. Il faut revenir à la matière première. Étudier l’essence : du blé, de l’œuf, du bœuf, du lait et alors vraiment parvenir à un repas original ». Plus tard un danseur indien dit : « Ce n’est qu’après avoir baigné dans la tradition qu’un danseur peut étendre son répertoire et intégrer des changements ».
Peu à peu ce voyage dans et pour l’espace, finit à force de bousculades par devenir poreux, perméable, à drainer un dépôt plus hétéroclite, une matière humaine dans laquelle et le lecteur et l’écrivain se voient mieux : d’abord infimes, disséminés puis comme rassemblés ou durcis par le temps long des séjours et la fatigue, apparaissent l’angoisse, la solitude, la peur du voyageur. On découvre un peu de ce qui fut le passé, la famille, les amours, les deuils de Susan Buirge. Quelque chose fait lien, de plus collant que le regard, un air plus épais qui nous accompagne longtemps, plus sûrement, comme lors d’une discussion, des ponctuations nettes dans un long discours, des tics de langage, des gestes récurrents. Car certains livres nous intéressent à la manière des gens rencontrés. Ils incluent des pages qui sont comme autant de digressions à l’amitié d’une personne. Ils rappellent nos différences. Nous les écoutons dire ce que nous pouvons bien entendre. Parfois, ils nous rassurent ainsi, engagés dans leur devenir auxquels nous ne nous sentons pas forcément conviés. On préfère leur confidence, comme celle-ci : « Elle (Grace Kelly) a été mon image de « la beauté », pour combler mon complexe de ne pas être belle, que je nourris depuis l’enfance. Les patients de mon père ou les invités de la famille faisaient toujours la même remarque : « Sara, que tu es jolie. Charles, que tu es beau. Et Susan, que tu as grandi. » Il faut dire que ma sœur ressemblait à Elizabeth Taylor et mon frère à Steve Mac Queen. Je ne pouvais que rêver à Grace Kelly dans le film Country Girl. Mais je ne connaissais pas sa vie tourmentée, ses amants. Hélas, nous nous sommes ressemblés. Image de pureté imposée par la famille et appétit d’aventure ».
La confession révèle un charme certain.

En allant de l’ouest à l’est
Susan Buirge

Le Bois d’Orion
(L’Orée de l’Isle 84 800 L’Isle/La Sorgue)
276 pages, 135 FF

Danse intercontinentale Par Christophe Fourvel
Le Matricule des Anges n°19 , mars 1997.
LMDA PDF n°19
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