Dans deux monologues, écrits comme des fragments d’états d’âme, Yves Reynaud met en oeuvre la difficulté de vivre dans la réalité.
Monologues de Paul comporte deux textes distincts : Apnée ou le dernier des militants suivi de Regarde les femmes passer, édité une première fois en 1981 chez Théâtrales et épuisé depuis (c’est une bonne nouvelle que ce monologue soit de nouveau disponible). Le même personnage de Paul revient donc hanter l’oeuvre d’Yves Reynaud à plusieurs années d’intervalle. Mais dans Apnée, Paul écope d’un patronyme, Kleinmann. Un petit homme donc, si l’on traduit ce nom de l’allemand. Peut-être un reflet du parcours de l’auteur qui prône la marginalité contre l’institution théâtrale après avoir fait partie de cette même institution (il a été élève de l’école du T.N.S., puis a joué avec Jean-Pierre Vincent, Jean-Louis Hourdin, Jean-Paul Wenzel, Bruno Bayen avant de fonder sa propre compagnie à Strasbourg, La Cruelle, où il est à la fois acteur, auteur et metteur en scène).Dans Apnée, Paul tente de donner un sens à sa solitude car il en vient à douter de son existence. En pleine campagne présidentielle, sa voisine Marianne (signe flagrant de la république française !) lui conseille d’arrêter de fumer. Il décide alors d’être candidat aux élections avec pour seul programme « l’interdiction du tabac » auquel viendra s’ajouter par la suite « l’adoption démocratique d’un ouvre-boîte universel » le jour où il s’entaille la main en voulant ouvrir une boîte de conserve. Un univers dérisoire où le personnage, en quête d’absolu se coupe de la réalité et reste enfermé dans sa propre solitude. Prisonnier de sa médiocrité, il est de plus, sujet à la paranoïa. Yves Reynaud, grâce à son sens de l’humour, nous fait sourire de la faillite de son personnage. On suit donc Paul dans ses turpitudes pour arriver à trouver les fameuses 500 signatures d’élus. Il imagine des combines pitoyables, comme par exemple passer une petite annonce dans les journaux : « candidat antitabac demande signatures élus non-fumeurs en vue élection présidentielle », ou bien organiser une chaîne téléphonique de militants (téléphoner à dix personnes qui à leur tour téléphonent à dix autres, etc.). Yves Reynaud s’attaque aussi à la bêtise sociale, dénoncant le vide d’une campagne électorale, le souci de rentabilité de notre société, les problèmes de la sécurité sociale. Mais il perd parfois son humour et prodigue alors quelques lieux communs qui ressemblent plus à des brêves de comptoir. Malgré cela, Paul est en même temps pathétique et attachant.C’est encore plus le cas avec Regarde les femmes passer où le personnage est face à son désir d’amour. Cette fois-ci, Paul se demande comment aborder les femmes. Clown dans l’âme, il est en constant décalage avec la réalité. Un jour, après avoir observé le comportement amoureux des pigeons, il en tire des leçons qu’il met en application avec la première femme abordée. L’échec est bien sûr retentissant. Mais ce décalage s’aggrandit jusqu’à atteindre les rives de la folie. La pièce bascule et prend une toute autre dimension, plus lyrique et plus poignante. Paul prend peur : « La croûte terrestre est devenue très fragile. On peut la traverser plusieurs fois en allant jusqu’à l’épicerie ». Il va finir par se « rendre » car il ne peut plus s’abstraire du bruit que fait son coeur.
Laurence Cazaux
Monologues
Paul-Yves Reynaud
Éditions Théâtrales, 63 pages, 76 FF
Théâtre Histoires de Paul
juillet 1997 | Le Matricule des Anges n°20
| par
Laurence Cazaux
Un livre
Histoires de Paul
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°20
, juillet 1997.