Ida menait une existence des plus faciles, elle se levait et s’asseyait et entrait et sortait et se reposait et allait se coucher.« Mais malgré cela, malgré cette vie des plus anodines, il lui arrivait quand même de »drôles de choses« à Ida, par exemple s’inventer une jumelle, compter tranquillement jusqu’à dix (mais après »Il lui était très difficile de se rappeler combien de fois dix elle avait pu compter une fois qu’elle les avait comptés car il lui fallait se les rappeler deux fois et quand elle avait compté jusqu’à cent qu’est-ce qui se passait.« ), rencontrer un certain nombre de gens ( »Ça lui avait donné envie de parler« ), regarder une mite voler ( »ça l’inquiéta« ), rencontrer un lézard au beau milieu du Texas, devenir de plus en plus connue (on se demande bien comment), acheter des chaussures, ne pas en acheter, ou encore se marier, pour partir »vivre sous d’autres cieux comme mari et femme« . Une existence pas précisément folichonne, mais qui lui offre néanmoins quelques menus plaisirs, pour peu que les éléments y mettent un peu du leur : »Ida aimait bien qu’il fasse sombre parce que quand il faisait sombre elle pouvait allumer la lumière." Une vie qui passe sans qu’on sache trop comment (à l’image de ce roman qui progresse comme il peut, c’est-à-dire en compilant des scènes totalement vides et en empilant des paragraphes), peut-être parce qu’un mariage en appelle un autre, et qu’il en est ainsi des appartements mais aussi des villes, et des chiens (rien moins que douze chiens, et exactement le même nombre de maris potentiels ou virtuels) ; peut-être plus simplement parce que le temps réussissant quand même à passer, Gertrude Stein parvient à juxtaposer les pages comme s’il se produisait réellement quelque chose…
Ida est le seul roman que Gertrude Stein (1874-1946) ait jamais écrit : dans Interview transatlantique (1946), son ultime entretien, elle affirmait qu’au XXe siècle le roman avait échoué (à l’exception peut-être de Proust), à cause des personnages auxquels les lecteurs ne croyaient plus guère, que ce genre appartenait à une époque révolue, et que seul le roman policier avait notablement progressé. Que Ida soit un vrai roman ou une pure parodie n’enlève rien à cette unique tentative romanesque : on y retrouve l’humour et l’extravagance de cet auteur américain, ses phrases faites de répétitions insistantes, nourries de verbes et de prépositions, et un texte qui reste d’une lecture facile. Pour notre plus grand plaisir.
Ida
Gertrude Stein
Traduit de l’américain par Daniel Mauroc
160 pages, 31 FF
Poches Ida ou la tentation du vide
juillet 1997 | Le Matricule des Anges n°20
| par
Didier Garcia
Un livre
Ida ou la tentation du vide
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°20
, juillet 1997.