Disons-le tout de suite : malgré un très beau travail éditorial, la lecture du cinquième livre (poétique ?) de Christophe Tarkos est éprouvante. D’abord parce qu’elle nécessite du souffle. Sur le mode du ressassement en spirale les textes de Tarkos sont comme une armée de chiens occupés à se mordre chacun leur propre queue. À le lire, on a la tête qui tourne et l’on est pris, qu’on le veuille ou non, dans une frénésie du rythme ponctué ici ou là, comme par des coups de gong, de mots ou de lettres imprimés dans un corps imposant tels des enseignes publicitaires qui nous sauteraient à la gueule. Éprouvante, cette lecture l’est aussi par l’étendue minimaliste du lexique. Avec peu de mots, et des mots de peu de précision, la danse qui nous prend ressemble à un rituel chamanique et grossier : « Ce qui est est effectif. Ce qui n’est pas effectif n’est pas. Ce qui est est effectivement ce qui est. Ce qui est fait est effectif. Ce qui est effectif est fait. L’effet de ce qui est est d’être (…) », etc. On pense aux musiques de Philip Glass, à ces séries répétitives qui ne se répètent en fait jamais. Mais il arrive aussi, dans ce déferlement d’une parole pauvre, que se révèlent dans leurs tentatives pour émerger, les mouvements de la pensée. Ainsi, pour saisir ce qui se passe lors d’un rendez-vous manqué, Tarkos donne-t-il, en alternance, la parole à chacun des protagonistes : « Elle est pas là. Je dis ça. Elle est à la à la. Elle n’est pas là. Elle est allée à la, là. » À quoi répond : « Il n’est pas là, il est parti par là. Je ne sais s’il est parti par là, je ne sais pas quand il sera là, quand en revenant il sera à nouveau là, je n’étais pas là, il aura le temps de revenir (…) ». Ces voix tissent le chant d’un opéra de la catastrophe, c’est-à-dire d’un état où le langage ne révèle que son impuissance à dire. La répétition, associée aux flou du message, donne l’impression d’un traumatisme, d’une langue échappée au contrôle de la pensée, qui se génère elle-même, tournant comme une folle autour du gouffre qui l’attire.
Pour contrer ce sentiment de désastre, les textes s’enchaînent les uns aux autres dans une sorte de comique refrain, un « op op » grossi outrageusement qui sonne comme le « plouf ! plouf ! » des enfants qui tirent au sort. Certains textes jouent également de la logique pour déshabiller les mots de leur sens galvaudé, pour les rendre neufs à l’oreille : « Ma mère est un homme est faux. Ma mère n’est pas un homme. Ma mère est une femme. (…) ». Dans ce grand malaxage de la matière écrite, on sait ne pouvoir trouver que la trace d’une poésie faite, probablement, pour être entendue. On comprend le gros travail de l’éditeur (la colection est dirigée par Jean-Marie Gleize) qui, dans une mise en page dynamique, tente de donner à lire une véritable partition.En fin d’ouvrage quelques notes sont censées nous donner des indications sur chacun des textes. Mais à lire, par exemple, la première de ces notes sur le texte intitulé Le poème du dehors : « Texte manifeste sous-titré De la nécessité d’une poésie révolutionnaire qui s’appelle Les Grandes Oreilles. Ce texte est en plastique, il a un grand nombre de formes possibles. », on devine que la poésie de Christophe Tarkos cherceh, coûte que coûte, à nous éprouver.
Thierry Guichard
Oui
Christophe Tarkos
Al Dante/Niok
10, rue Thiers 13 001 Marseille108 pages, 88 FF
Poésie Entre Tardieu et Novarina
juillet 1997 | Le Matricule des Anges n°20
| par
Thierry Guichard
Avec une énergie étonnante, les textes de Christophe Tarkos dans Oui jouent une sarabande endiablée où la phrase perd ses lambeaux de sens.
Un livre
Entre Tardieu et Novarina
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°20
, juillet 1997.