Animateur de la revue Le Grand Jeu avec Daumal et Gilbert-Lecomte, de Renéville est l’auteur d’essais remarquables sur les liens entre littérature et mystique. Une vraie redécouverte.
En littérature, certaines redécouvertes tiennent plutôt lieu d’exhumations. Né au début du siècle à Tours, décédé en 1962, André Rolland de Renéville est oublié aujourd’hui. Il fut pourtant une des figures essentielles de la revue Le Grand Jeu animée par René Daumal et Roger Gilbert-Lecomte. En 1929, son ouvrage Rimbaud le voyant annonce déjà une compréhension saisissante de l’univers rimbaldien. Si André Rolland de Renéville a écrit plusieurs recueils de poésie, c’est l’essayiste que les éditions Le Bois d’Orion nous proposent d’apprécier ici à travers une série de textes regroupés sous le titre Sciences maudites & poètes maudits.La plupart de ceux-ci sont inédits, les autres furent publiés entre autres à partir des années trente dans la NRF et dans la revue animée par André Rolland de Renéville : Les Cahiers d’Hermès.L’ouvrage se divise en trois parties, liant toujours expérience poétique et mystique : d’abord un premier volet portant le titre de l’ouvrage, un deuxième consacré à Louis Lambert de Balzac, Edgar Poe, Goethe, Chamisso, André Breton et deux textes essentiels sur les rapports entre poésie, absolu et occultisme. Enfin, une troisième partie s’intéresse notamment à la Grèce et ses mystères, à la légende de Gilgamesh et aux livres de la civilisation tibétaine.Rien de fastidieux ni de dogmatique : tout s’y avère d’une lumière autant spirituelle que charnelle. Nourri d’alchimie et d’ésotérisme, de Renéville rappelle à quel point la poésie du second romantisme français a puisé dans les oeuvres et les parcours occultes du martinisme (Martinez de Pasqually), de Swedenborg et d’Hoené Wronski.
La grande surprise de cet ouvrage vient certes de ces « rappels » mais aussi de la pensée si revigorante de de Renéville qui parcourt chaque texte : « La Poésie doit être l’homme total. Son rôle est de développer notre conscience sur tous les plans de l’univers, et de nous en permettre par là-même l’identification. Il semble du moins que tel soit l’enseignement des anciens sages qui, loin de cultiver nos méthodes de division du travail, ne concevaient pas qu’une oeuvre puisse être érigée sans que le corps y participe par la danse, ou par le souffle, le coeur par l’intuition des rapports qui le relient à l’univers, dont toutes les coordonnées aboutissent à son centre de force, l’esprit par la majesté de ses conceptions qui ne sont que les masques des Idées-Mères. » Il ne faut pas lire ce livre comme une conception datée ou originale de la poésie mais bien comme une lecture et un déchiffrement d’oeuvres d’artistes qui consciemment ou inconsciemment ont reproduit, renouvellé, voir redynamisé des philosophies ou des pensées anciennes sinon antiques : « Ce qu’on a nommé le mouvement symboliste n’est sans doute que l’épanouissement de tout ce que le romantisme français contenait de philosophie secrète et mystique. Le romantisme allemand, dès la fin du XVIIIe siècle, élaborait une représentation idéaliste et magique de l’univers, particulièrement exprimée par Novalis, où tout aspect du monde sensible n’était plus que symbole et signe d’une Idée à laquelle son aspect se trouvait lié par la foi de l’analogie. » Saluons enfin le travail critique du préfacier Patrick Krémer qui par ses annotations ou informations ne laisse aucun flou sur les ouvrages cités par l’auteur, souvent épuisés aujourd’hui.
Sciences maudites & poètes mauditsAndré Rolland de RenévillePrésentation et annotation de Patrick Krémer
Le Bois d’Orion292 pages, 145 FF
Histoire littéraire Essayiste maudit
novembre 1997 | Le Matricule des Anges n°21
| par
Marc Blanchet
Un livre
Essayiste maudit
Par
Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°21
, novembre 1997.