Si l’on ne fait pas de littérature avec des bons sentiments, on ne voyage pas non plus avec des a priori. C’est fort de ce précepte que Shiva Naipaul (le frère de V. S.) s’est engagé, en 1978, dans un long périple en Afrique Noire. Pas question de remplir des albums photos, de goûter les spécialités du coin en lisant les journaux occidentaux. Pour Shiva Naipaul, plutôt que de parler de voyage, conviendrait-il d’utiliser des termes comme plongée. Double plongée en fait puisque cet Indien de Trinidad explorera aussi bien le continent noir que ses propres « obsessions » concernant notamment le socialisme à l’africaine et les problèmes de racisme. L’ambiguïté du récit vient essentiellement de là : s’il évoque les tensions entre ceux qu’il nomme les Blancs, les Noirs et les Bruns, on ne sent jamais Naipaul se départir de sa condition de Brun pour juger. Sous sa plume les Blancs sont aussi dépravés et méprisants que les Noirs sont stupides et naïfs. On arguera que certains Indiens en prennent aussi pour leur grade. Et on se sera jeté dans le piège : car, enfin, les généralités sont-elles de mise ? Certes Naipaul passe beaucoup de temps à rencontrer les gens, à vivre là-bas. Mais il le fait sans amour : il le fait en donnant l’impression de ne pas vouloir s’intéresser aux autres. Il évoque des comportements, rapporte des histoires, décrit les paysages, peint des portraits. Mais on ne le sent guère tenter de comprendre, humainement, l’autre. L’analyser oui, se mettre à sa place non.
Le récit de ce long voyage, pour autant, délimite les traces d’un territoire en déliquescence. La narration suit le rythme aléatoire des voyages, se perd parfois. On souffre pour le narrateur lorsqu’il emprunte, pour de longs voyages, des camions surchargés et toussoteux auxquels s’accrochent des grappes humaines. La multiplication des images, des noms, enivrent le lecteur jusqu’à lui faire perdre ses repères. L’Afrique jaillit plus de l’embrouillamini qui en résulte que de n’importe quel guide touristique. En cela, le voyage et réussi. Et comme il vous en coûtera moins que le billet d’avion, pas d’hésitation.
Sortilège africainShiva NaipaulTraduit de l’anglais par Valérie Barranger et Catherine Balvaude
10/18324 pages, 46 FF
Poches Passeport pour l’Afrique
novembre 1997 | Le Matricule des Anges n°21
| par
Thierry Guichard
Un livre
Passeport pour l’Afrique
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°21
, novembre 1997.