Un livre

Une heure avec

de Frédéric Lefevre

Editions Siloë

Avec l’essai de René Wellek sur l’Histoire de la critique moderne (cf. MdA 19) et l’enthousiasmante anthologie d’articles critiques des Années roman, 1919-1939 établie par Olivier Rony (Flammarion, 704 pages, 150 FF), la « critique littéraire » est mise en question. Ses actuels représentants décevraient-ils ? On n’ose y croire… Mais le fait de remarquer à quel point la critique se renouvelle lentement - lent recyclage des idées dominantes, places dominantes inexpunables - ne doit pas masquer les vertus dynamiques d’une profession capable d’inventer ses nouveaux instruments. C’est ainsi que Frédéric Lefèvre (1889-1949) restera dans les annales pour avoir relancé le genre de l’interview littéraire.Rédacteur-en-chef des Nouvelles littéraires, Lefèvre inaugure le 25 novembre 1922 sa fameuse rubrique « Une heure avec… » en interrogeant le romancier Pierre Mille. Il n’est pas le premier à faire des étincelles dans ce domaine, Jules Huret (1863-1915) et Adolphe Brisson (1860-1925) furent de brillants devanciers. Pourtant, le succès de sa formule est tel qu’il justifie l’édition de six volumes (Gallimard, 1924-1933) et qu’on y trouve aujourd’hui encore matière à réédition.Soumis à une sélection drastique de Nicole Villeroux, les entretiens ressuscitent les riches heures du journalisme littéraire. Il en reste deux volumes - un troisième est en préparation - qui donnent des éclairages directs sur Barrès, Leroux, Courteline, Max Jacob, André Suarès, Paul Morand, Georges Duhamel, Ramuz, Delteil… Les écrivains qui ont marqué le siècle défilent avec leur lot d’admirations, d’explications et de projets. Montherlant en flagrant délit d’athlétisme, Claude Farrère et le cinéma, Colette et ses cahiers d’écolière corrigés par Willy, Henri Pourrat en visite chez un fabricant de papier… Par le truchement de l’écrit, les grands hommes nous parlent et se montrent tels qu’ils ont (peut-être) été.
Vedette de la presse littéraire, Frédéric Lefèvre était la bête noire de l’intelligentsia qui a vu en lui un vulgarisateur un peu épais. Dans ses mémoires, Carlo Rim le peint sous les traits d’ « une bonne brute assez vulgaire à la culture bariolée ». On insinue aussi que « ses meilleures interviews sont celles qui ont été écrites par les interviewés eux-mêmes », ce qui prouve qu’elles méritent d’être consultées. Alors, bien qu’on plaisante ses commentaires passe-partout, cet homme a fait oeuvre utile.

Une heure avec… (2 vol.)Frédéric Lefèvre
Siloë (17, rue de Verdun 44000 Nantes)336 et 415 pages, 130 FF chacun