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Domaine étranger Mc Liam Wilson : « La ville est un roman »

janvier 1998 | Le Matricule des Anges n°22 | par Maïa Bouteillet

Jake est catholique, Chukie protestant. Complices d’enfance, ils nous ouvrent les portes d’une ville ruinée par la guerre. Belfast, inédite.

Loin de la verte Irlande des cartes postales, Robert Mc Liam Wilson aime frotter sa plume aux pavés des grandes cités. Aux petites heures de la nuit, lorsque tout dort, l’écrivain écoute respirer la ville où il a grandi. Belfast griffée des graffitis qui rythment son roman. « La ville chérit ses murs comme on tient son journal. Selon cette sténographie saccadée, les murs racontent histoires et haines, ratatinées et décolorées par le temps ». Bâti à coup de cigarettes et d’insomnies, Eureka Street livre la chronique des soubresauts amoureux et guerriers de Belfast la déchirée. Grand lecteur des romanciers du XIXe, Wilson cite sans cesse Dickens, Tolstoï et surtout Balzac et Zola, quand on l’interroge sur son roman publié en Angleterre en 1996 et traduit en français l’an dernier. « Une grande ville sans romancier est comme inexistante. Pour moi Belfast était jusqu’alors invisible. Un roman est comme le plan émotionnel, spirituel d’une ville. Ce sont les écrivains qui créent la ville. Peut-être que ce n’est pas la vérité mais pour moi c’est vrai. J’ai connu Londres avant d’y aller grâce à Dickens ». Londres où vagabondait le héros râleur, génial et crasseux de Ripley Bogle (chez le même éditeur en 1996), un incroyable premier roman en partie inspiré de sa propre expérience de sans-abri, à Belfast et dans la capitale britannique, avant qu’il n’obtienne une bourse d’études pour Cambridge. Publié en 1988 en Angleterre, le livre a aussitôt fait grand bruit. Robert Mc Liam Wilson n’avait alors que 24 ans.
Attablé à une terrasse de café, captivé par tout ce qui grouille et s’offre à son regard, le jeune homme évoque une histoire de parking souterrain et Paris - où il voudrait planter le décor de son prochain roman. Malgré les perpétuelles excuses timidement bredouillées avec un accent fort charmant, il sait bien assez de français pour s’y installer quelque temps. Un rien décalé. Assez de français manifestement pour entamer la conservation avec un gamin qui trimbale son rat et son accordéon pour demander la pièce aux passants. « Désolé pour l’interview mais c’est la ville ça ! » sourit-il, les yeux sur les traces de l’enfant. Un gosse des rues comme celui qu’il était peut-être dans les quartiers pauvres de Belfast et qui rappelle forcément le petit Roche d’Eureka Street - ainsi nommé en hommage au Gavroche de Hugo, « le meilleur écrivain des rues ».
Un jour, quelqu’un a dit à Robert Mc Liam Wilson qu’il écrivait sur Belfast comme le garçon amoureux de la fille la plus laide de la classe. « C’est vrai, cette ville est tellement moche mais je l’adore. Pour moi, Belfast est la seule fille de la classe. La plus vivante, la plus savoureuse ». Mc Liam Wilson est un tendre et Eureka Street une magnifique histoire d’amour. « Toutes les histoires sont des histoires d’amour », décrète l’auteur à la première ligne de son roman. « Une histoire pour les hommes qui sont en échec avec les femmes. Comme tous les Irlandais » sourit-il malicieusement, nous laissant le soin d’imaginer une improbable caractéristique de sa biographie. La grande histoire après laquelle court Jake, beau mec à la trentaine paumée, homme de main dans la récupération de marchandises impayées et perpétuel éconduit, sans cesse taraudé par « un blues à fendre l’âme ». Et celle bien réelle du gros Chukie, personnage mou et vorace qui, non content de séduire une belle Américaine, découvre la combine du siècle et devient multi-millionnaire.
L’un est catholique, l’autre est protestant. L’un et l’autre inséparables, ils sont deux exacts contraires. Comme le roman dont Jake est le narrateur avance sur deux registres complètement opposés et qui au fond se rejoignent. Le réalisme presque documentaire avec lequel Mc Liam Wilson évoque la géographie de la ville, la misère et la détresse, la violence quotidienne et les bombes terroristes. « Parce que c’est là, on ne peut pas l’ignorer. Je ne suis pas un auteur de contes de fées, j’écris sur ce que je vois ». D’ailleurs, quand il n’écrit pas, Wilson tourne des reportages pour la télévision sur la pauvreté, les sans-abri, la situation politique… Un moyen plus rapide, dit-il, de faire savoir au monde ce qu’il n’accepte pas. Mais la chronique sombre de ce quotidien confine aussi souvent au surréalisme quand il raconte la folle ascension de Chukie, « son rapport très intense et troublant aux catalogues de vente par correspondance » et les incroyables débats télévisés qui l’opposent à Jimmy Eve - dans lequel les lecteurs avertis auront reconnu Jerry Adams, le leader du Sinn Fein. Et les sarcasmes de l’auteur vont aussi au Nobel Seamus Heaney, alias Shague Ghintoss dans le texte : « injustement célèbre qui ressemblait au père Noël et qui écrivait sur les grenouilles. » Les polémiques suscitées Outre-Manche par ces passages moqueurs font sourire l’écrivain : « le pouvoir de la satire est énorme pour montrer l’absurdité des choses ». Le ton drolatique se fait brutalement tragique lorsqu’il évoque, au coeur du roman, l’affolement, le sang, les débris de chair humaine, la révolte et les traumatismes des vivants après l’explosion d’une bombe aveugle dans une sandwicherie de Fountain street en pleine pause de midi. « C’est difficile d’écrire sur la violence. Je voulais créer l’idée d’une vie perdue, d’une vie finie. » Catholique marié à une protestante, Robert Mc Liam Wilson continue de vivre à Belfast. « Je suis obsédé par la haine. Je voudrai découvrir la chaleur, la couleur de la haine. En Irlande on devrait décerner des prix pour la qualité de la haine ».

Eureka Street
Robert Mc Liam Wilson

Traduit de l’anglais
par Brice Matthieussent

Christian Bourgois Editeur
545 pages, 150 FF

Mc Liam Wilson : « La ville est un roman » Par Maïa Bouteillet
Le Matricule des Anges n°22 , janvier 1998.
LMDA PDF n°22
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