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Domaine étranger Fin de parti

janvier 1998 | Le Matricule des Anges n°22 | par Eric Naulleau

L’inventaire après faillite se poursuit en ex-Union Soviétique. Deux nouveaux livres dont les auteurs n’ont pas les mémoires qui flanchent.

L' Aujourd’hui blessé

Après le Livre noir du communisme, qui défraie la chronique depuis plusieurs mois, voici donc « le livre jaune du stalinisme », ainsi que les éditions Verdier auraient pu sous-titrer L’Aujourd’hui blessé. La similitude entre les deux ouvrages tient aussi bien à leur rédaction collective qu’à leur commune volonté de contribuer à un inventaire du plus sanglant totalitarisme de tous les temps. Mais tandis que les auteurs du premier s’inscrivent dans une démarche historique et statistique, ceux du second témoignent à hauteur d’homme, ou plutôt de femme, puisque ce recueil « rassemble des textes écrits dans le secret, au péril de leur vie, par quatorze femmes victimes de la politique de terreur que Staline imposa jusqu’à sa mort aux « sujets » de son empire. » Si l’encre de tous ces récits se teinte invariablement de sang et de larmes, au gré d’une litanie de vies brisées, de familles séparées par la mort ou la déportation, le texte d’ouverture -Le Long Chemin par Olga Adamova-Sliozberg- demeure exemplaire tant par sa longueur (un tiers de l’ensemble) que par sa rigueur et ses qualités d’écriture. Injustement arrêtée le 27 avril 1936 et réhabilitée le 6 avril 1956 (« Ce qui signifie que j’avais payé cette petite erreur de vingt années et quarante et un jours de ma vie »), l’infortunée mémorialiste, placée bien malgré elle aux premières loges, put évaluer durant tout ce temps les ravages grandissants de la paranoïa meurtrière du « Petit Père des peuples », depuis les premières purges systématiques en 1937 jusqu’au prétendu « complot des blouses blanches » en 1953. à cet égard, le simple énoncé du curriculum vitae des compagnes d’infortune que croise Olga Adamova-Sliozberg à travers les années suffit pour reconstituer les couches successives de terreur qui s’abattirent sur la terre russe : persécutions à l’encontre des koulaks, puis des trotskistes, des « terroristes », des membres du Komintern, des Juifs, et enfin d’à peu près tout le monde.
Plus encore que l’extravagante violence de ce processus de purification idéologique, c’est l’indéfectible loyauté envers un régime et un homme que manifestèrent nombre des victimes les plus cruellement frappées qui suscite l’effarement. Passe encore que l’époux d’Olga Adamova-Sliozberg use de l’expression « On coupe le bois, les copeaux volent » (équivalent russe de notre « On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs ») lors de l’arrestation du mari de leur nourrice, avant d’être lui-même jeté en prison, mais certains propos et attitudes, tout d’abord pathétiques (« En prison, les plus malheureuses étaient les communistes. Elles persuadaient tout le monde que le pays était en proie à un immense complot révolutionnaire. ») confinent bientôt à la bouffonnerie ainsi qu’en atteste le comportement de cette stalinienne convaincue qui se retrouve exilée sur les îles Solovki -l’un des ultimes cercles de l’enfer terrestre : « Jénia posa une condition : nous ne devions pas enfreindre les règles carcérales, et ne pas correspondre par les murs. Communiste, où qu’elle serait, elle se soumettait aux lois soviétiques. Nous avons accepté (…) Jénia veillait sévèrement à ce que nous lisions La Pravda du début à la fin. En aucune circonstance, elle ne me laissait survoler distraitement le journal. » avant de verser dans le pur surréalisme lors de cette scène située en 1949 : «  (Dans la cellule se trouvait) un groupe de communistes qui normalement auraient dû être arrêtés en 1937 mais qui, par quelque hasard, n’avaient pas été touchées. D’une seule voix, elles clamaient que les arrestations de 1937 avaient été justes. Elles en donnaient pour preuve qu’elles, qui n’avaient commis aucun crime, n’avaient pas été inquiétées. » Le Long Chemin est l’un des documents les plus émouvants et les plus édifiants de l’abondante littérature concentrationnaire disponible à ce jour. Les autres textes ici proposés, qui forcent tous l’admiration par leur dignité et leur haute tenue, prouvent que le mot malheur se déclinait en Union Soviétique de bien d’autres manières que ne le prévoient les règles de grammaire russe.

« On écrit des Mémoires pour toutes sortes de raisons.Par sentiment de la solitude, parce qu’on sent venir sa fin, comme on confie une bouteille à la mer (…) avec l’espoir que ce dernier hurlement d’une vie qui s’achève finira par être ramené vers un rivage. » David Samoïlov

Au titre de l’anecdote la plus stupéfiante, David Samoïlov (1920-1990) peut également au moins prétendre à un accessit pour ce passage de ses mémoires : « En ce promenant avec une jeune fille dans un parc, Boris acheta une carte postale qui était un portrait de Staline ; il l’acheta pour rédiger une déclaration d’amour. Mécontent de ce qu’il avait écrit, Boris déchira la carte et la jeta dans une corbeille. Il fut aussitôt arrêté et condamné à deux années de détention pour propagande antisoviétique dans un cercle restreint. » Mais dans ces souvenirs rassemblés à partir de la fin des années soixante-dix, le poète moscovite se soucie moins de stigmatiser des pratiques ubuesques que de se faire le portrait d’une génération perdue, qui, à peine entrée en littérature, dut affronter tout à la fois le jdavonisme (mise au pas idéologique des artistes en général) et la Seconde Guerre mondiale. Dans cette atmosphère dramatique, l’on reste aussi admiratif que stupéfait devant les efforts consentis par Samoïlov et les autres membres de l’IFLI (du nom d’un institut universitaire) afin de trouver leur chemin poétique entre ces deux précipices et de jeter simultanément les bases d’un « marxisme sincère », selon leur propre formulation. Tentative vouée à l’échec, ainsi que les intéressés le reconnurent eux-mêmes : « Selon Narovtchatov, notre vénération se caractérisait particulièrement par son manque de génie. » De fait, ce qui tient d’évidence le plus à cœur à l’auteur, ici exprimé sous forme de considérations historiques et politiques, semble parfois nébuleux pour le lecteur moderne, tandis qu’il excelle dans l’évocation des lieux et des êtres, de même qu’à lier son destin personnel à des problématiques plus vastes (réflexion sur le sort de « l’intelligentsia moyenne » et la question juive dans les premiers chapitres, ou encore le projet d’une « histoire des appartements communautaires, avec leur influence tragique sur le psychisme et la psychologie de leurs habitants. ») Après le premier tome du Journal de Tchoukovski (lmda N°17), les éditions Fayard poursuivent une palpitante chronique depuis l’intérieur d’un pays autrefois nommé Union Soviétique.

L’Aujourd’hui blessé
Traduit du russe par
Francine Andreieff,
Zoë Andrevev, Nadine Favre
et Nathalie Pighetti-Harrison
Verdier
448 pages, 150 FF

Pour mémoire
David Samoïlov

Traduit du russe par
Wladimir Berelowitch
Fayard
624 pages, 198 FF

Fin de parti Par Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°22 , janvier 1998.
LMDA PDF n°22
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