On sait peu de la vie de Marie. On sait l’essentiel. Elle vit dans l’attente de Steve, son amant d’un mois par an, son amour depuis cinq ans. Elle habite seule à Paris. Il est marié aux Etats-Unis. Chaque été, ils se retrouvent dans une ville d’Europe, visitent les musées. Cette année, il devait la rejoindre à Rotterdam pour achever un livre sur Rembrandt ; il est historien d’art. Mais Steve est mort dans un accident de voiture. Marie ne veut pas croire qu’il ne viendra pas : « en septembre dernier… il m’a dit : dans un an, le 1er juillet. Il a toujours tenu parole. »
La maison déserte, c’est la maison qu’elle va louer dans la ville hollandaise, qu’elle va préparer pour l’arrivée de Steve.
La maison déserte, c’est Marie, vide de la présence de son amour, Marie « dissoute… là-bas dans sa poussière ». Un livre d’effritement. L’effritement d’une révolte au jour le jour.
Mais la vie va petit à petit envahir à nouveau la femme prostrée. Marie réapprend à écouter le sommeil d’un enfant derrière la cloison, à regarder les fleurs qui poussent, à parler avec Clarence le jardinier qui comprend son espoir à mots couverts. Il lui explique les secrets de la vie végétale, de la vie tout court : « Avant de choisir le possible, il faut connaître le probable. »
Peu de remous dans l’écriture : on ne bouge pas quand on a mal, on se terre. Juste un va-et-vient léger, à peine perceptible, entre la vie et la mort. Des mots simples comme la douleur de Marie, des phrases suffocantes d’attente ou bien amples comme le souffle de la vie qui continue malgré tout.
Le temps passe à guetter les ombres, à écrire à Steve, à lui parler comme s’il était près d’elle. Jusqu’à comprendre qu’ « elle est condamnée à parler, désormais, jusqu’à la fin de sa mémoire, à poser toutes les questions, à entendre toutes les réponses, sans plus jamais rien partager. »
Le parallèle établi par l’auteur entre l’éclosion flamboyante du jardin et la lente renaissance de Marie est un procédé bien agréable à la lecture, qui évite toute phrase inutile, tout épanchement littéraire et nous offre à reconnaître des émotions aussi subtiles que les parfums d’un jardin d’été.
La Maison déserte
Jacques Tournier
Calmann-Lévy
180 pages, 98 FF
Domaine français Le temps d’un deuil
juin 1998 | Le Matricule des Anges n°23
| par
Corinne Robert
Un livre
Le temps d’un deuil
Par
Corinne Robert
Le Matricule des Anges n°23
, juin 1998.