La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français L’enchanteur Rouquette

juin 1998 | Le Matricule des Anges n°23 | par Dominique Aussenac

Plongée initiatique à l’intérieur d’un fragment d’opera mundi, Divine Comédie d’un des plus grands écrivains occitans de ce siècle.

Le Corbeau rouge

Faire œuvre, œuvre universelle, métaphysique, chimérique, voilà l’intention qui transcende la vie de Max Rouquette. Faire œuvre en utilisant toute la palette des arts littéraires, poésie, théâtre, récits, nouvelles, romans… Faire œuvre en gardant, sauvegardant une langue, celle de sa civilisation, celle des troubadours, au-delà de tout militantisme et ce malgré l’apartheid de la république jacobine. Faire œuvre pour donner sa propre grille de lecture du monde, en se plaçant en moraliste, pas en père la pudeur d’un quelconque ordre moral, mais en auteur qui écrit sur les mœurs, la nature humaine, qui dénonce la vanité du réel et propose la libération par lo sòmi, le rêve.
A quatre-vingt-dix ans, Max Rouquette voit peu à peu Vert Paradis, titre générique de son travail d’écriture, traduit en français, publié par les soins d’un éditeur languedocien installé à Paris. Chaque volume de Vert Paradis, mosaïque de textes, où récits, fictions se juxtaposent, forment un tout où le fantastique, bousculant l’ordre des choses et la banalisation du quotidien, s’impose comme forme récurrente. Le Corbeau rouge, troisième volet de cette « saga panthéiste » (saga parce qu’elle présente des récits mythiques ou légendaires, en fait il s’agit plus d’une cançon, long récit lu ou chanté comme la Chanson de la Croisade ; panthéiste parce que cet ancien médecin qui se dit athée ne cesse de tourner autour de l’idée divine en amalgamant Dieu et nature, en prêtant à l’homme une dimension prométhéenne, -voler le feu, prétendre à l’éternité, à la connaissance totale, à la toute puissance, redonner la vie-, en présentant l’écrivain, le créateur comme un rival divin).
Le Corbeau rouge regroupe une douzaine de pièces. Elles offrent un cheminement (le lecteur trouve lui-même les réponses aux questions posées) dans lequel s’opposent, la nuit et le jour, Réel et Imaginaire, Eros et Thanathos, nature et culture. Double réflexion. A la fois sur l’enveloppe du monde, la vanité de l’existence et de ses leurres (le pouvoir, l’argent, parfois même le désir), et sur les vecteurs de dénomination du monde que sont les mots, le langage, la parole.
Ainsi la première fable, au sens originel du terme, fabula, récit, conversation familière, qui donne le titre de l’ouvrage, a pour thème le désir d’éternité : « passer, d’un coup, de la vie à l’immortalité, sans s’attarder dans l’affreux état du cadavre » et le rapport au pouvoir. Un enchanteur, maître des marionnettes, (on retrouve là encore une fois la prégnance du miroir, du double, du sosie, clef fondamentale de la métaphysique de l’écrivain ) à qui il semble donner vie et qu’il meut avec une merveilleuse sensualité, entraîne le roi Mo vers une demeure éternelle. Le prince élimine l’enchanteur, se retrouve sur le trône et pour montrer sa puissance réanime les marionnettes qui font disparaître la cour, laissant le despote seul, responsable de la fin de sa dynastie.
Le Vin herbé propose encore une fois un rapport à la toute puissance, celle de l’homme qui pour parvenir à ses fins -créer un troupeau de mulets- instaure un rituel païen et leurre un âne qu’il force à copuler avec une jument. Après l’explosion cosmique, la frénésie spermatique où l’homme finit par faire la bête, Les Sept contrebasses amènent à des considérations plus mélancoliques sur la fuite du temps, les illusions adolescentes perdues, contrebasses muettes qui dérivent au fil du Danube, une bougie allumée sur le flanc. « Ames, fantômes, faces d’effroi. Ils frémissaient dans la fraîcheur de l’aube prochaine et se signaient, chaque fois que passait, lente et assurée dans sa marche impérieuse, une de ces barques de l’au-delà dans sa course vers les enfers. »
Avec La Casa di Dante, Rouquette écrit à la première personne et revient au lieu de sa naissance, le petit village d’Argelliers dans l’Hérault qui occupe une partie conséquente dans son œuvre, amphithéâtre, haut lieu de la tragédie. Il y transpose la maison de Dante Aligheri, l’inspirateur de toujours, avec qui il partage ce « regard de vieil aigle, toujours entre songe et veille, qu’il jetait sur le monde » A travers cet hommage à l’espace de l’enfance, du repli hors du monde, à la maison des muses et au génie florentin, Rouquette brode une variation sur le pourquoi de l’écriture. On écrit sous influence pour dire « Tout ce qui bout en tout âme d’homme. Le poids, la loi, le prix d’une vie. » Deuxième contrepoint funèbre, Eros et Thanathos décrit de manière symboliste, avec des festons Art Nouveau, le désespoir d’un croque-mort dont le rôle est d’apprêter les cadavres afin qu’ils donnent l’illusion de la vie. Pris du complexe de Nabuchodonosor, il se met à brouter l’herbe pour expier son rôle de faux dieu. Ce thème de la mort, de son omnipotence, associé encore à l’idée de vanité de l’exercice du pouvoir est repris allegro dans Et la mer s’en est allée où les crabes rongent le soleil.
Plus loin, L’Alouette et la masse d’armes évoque deux troubadours, passagers de La Divine Comédie, Bernard de Ventadour et Bertrand de Born qui ont fini leur vie à l’abbaye cistercienne de Dalon. Rouquette imagine une rencontre entre les deux poètes ayant fait vœu de silence et qui pour ne pas circonvenir à la règle décident : « Et si chacun, à voix haute, dit sa pensée sans aucun souci de répondre à l’autre, alors où est la conversation ? » Superbe réflexion sur le langage : illusion, vanité, voie de libération, poème-alouette porteur d’éternité… « Le monde dont nous parlons n’a plus rien du monde. » Réflexion poursuivie par La Lune dans le saladier où la parole est encore imagée par l’oiseau, chardonneret qui s’enfuit de sa cage. « Le nom devient masque. Image étrangère à la chose, mais qui en tient lieu. » Artefact, musique, le langage nomme le monde, l’illusion du monde : « La parole…. On s’en sert comme de ce qui n’existe pas. »
A travers Le Corbeau rouge, à l’écriture minutieuse, élégante, décalée, enluminée de volutes et d’arborescences, s’engouffre une éblouissante légende des siècles faite de merveilleux, de mythes, de métaphysique, ors et ténèbres, véritable opéra (forme et musicalité) pour une langue maudite qui pour beaucoup n’a aujourd’hui plus lieu d’être. La parole de Max Rouquette émerge à la fois de la nuit des temps et des temps très actuels de la nuit.

Le Corbeau rouge
Max Rouquette

Traduit de l’occitan par l’auteur
Les Editions de Paris
205 pages, 100 FF

L’enchanteur Rouquette Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°23 , juin 1998.
LMDA PDF n°23
4,00