Devenu journaliste par manque de vocation, reporter de guerre par ennui, Paul M. Marchand a connu deux des carnages qui ont marqué cette fin de siècle : le Liban et la Bosnie. Deux villes, Beyrouth et Sarajevo, engluées dans l’horreur, dont la particularité était d’être montrées agonisantes en direct chaque jour dans une débauche d’images et de mots. Les journalistes étaient les relais impuissants et les voyeurs accrédités. Dans le flot des journalistes, Paul M. Marchand s’est forgé à Sarajevo une réputation autant fascinante qu’inquiétante. Prise de risque maximum, esthétisme de dandy (havanes et pose d’indifférence), provocateur (le fameux « Je suis immortel » inscrit sur sa voiture à l’attention des snipers), assumant son rôle de comptable macabre jusqu’au bout, jusqu’à tâter les cadavres pour déterminer l’heure de la mort. Cette balle avec laquelle Paul M. Marchand jouait, il l’a reçue dans le bras en octobre 1993. De retour de Bosnie avec une main déchiquetée, pendant trois années d’opérations à répétition, il a écrit ce récit qui entre dans la tradition des livres de guerre de reporters, après notamment Putain de mort, de Michael Herr (Albin Michel) et le très beau L’Air de la guerre, de Jean Hatzfeld (l’Olivier, 1994). Il ne s’agit pas seulement de proses de journalistes témoins d’un événement extraordinaire mais de réels actes d’écriture qui surgissent d’un besoin essentiel de cerner et pénétrer la guerre, et donc la mort, avec des mots après avoir essayé de l’embrasser dans une vie de journaliste. Apollinaire, L.F. Céline, Hemingway…, la liste est longue des écrivains qui ont vu dans la guerre une occasion unique de parler de l’homme et par le style d’approcher la vérité de cette catastrophe très humaine.
Avouant sa découverte de l’inutilité des mots de reporters, en terme d’efficacité sur le cours d’une guerre, Paul M. Marchand écrit sous l’emprise d’un lyrisme qui dérape parfois dans l’emphase et la boursouflure, une débauche linguistique face à l’indicible qui alterne avec le réalisme des scènes vécues. « A Beyrouth comme à Sarajevo, chaque matin, j’appareillais vers la mort dans mon voyage de destruction. Journaliste, je devais raconter, avec des mots de ruines, dans une langue inachevée, que les guerres ne sont rien d’autres qu’un peu de bruit sur beaucoup de silence. Un fracas passager quand le silence devient trop insupportable. Un rêve de monde meilleur, même si le rêve est obscène et turbulent ». On fera sans doute quelques reproches à ce livre. On dira de l’exaltation du moi qu’elle est de la mégalomanie du personnage Marchand. Comme toujours, on critiquera un esthétisme de la guerre, ces feux d’artifice d’Apollinaire qui, époque oblige, deviennent sous la plume de Marchand des moments de « rock and roll » aussi excitants que Sympathie for the devil des Rolling Stones. Son attirance pour la tuerie et le sang troublera. Mais il y a dans cette outrance et cette fureur une descente fascinante dans l’horreur où les valeurs sont bouleversées et la mort personnifiée, une quête à rebours qui traverse le beau comme le répugnant. Ce chant de la guerre charrie du nauséabond, chacun jugera s’il approche une vérité, mais aussi un humanisme torturé. Celui de quelqu’un à qui l’on a enseigné le fameux « Plus jamais ça » et qui a vu l’ampleur des mensonges en déambulant sur ce que l’on nomme la « ligne verte », la ligne de front.
Sympathie pour le diable
Paul M. Marchand
Florent-Massot
180 pages, 98 FF
Domaine français Chant de guerre
juin 1998 | Le Matricule des Anges n°23
| par
Christophe Dabitch
Lyrique et hyperréaliste, Sympathie pour le diable est le récit de guerre d’un journaliste hors norme qui face à la mort joue les dandys casse-cou.
Un livre
Chant de guerre
Par
Christophe Dabitch
Le Matricule des Anges n°23
, juin 1998.