C’est fini, comment faire ?/Nos couplets sont complets./ Donnez-nous du gruyère/ Ou du blanc de poulet./ Amis, ronflons dans l’orthographe./ Et si l’i grec veut bien ou ne veut pas nous mordre,/ La plus belle des girafes/ Entrera dans les ordres.« Fin d’Il ne faut pas boire son prochain. Attention, Dubillard déboule. Toutes les fantaisies et toutes les déroutes sont permises grâce à Diane Henneton qui a recherché, recollé (car la pièce a été retrouvée en morceaux) et permis de publier cette œuvre de jeunesse que l’auteur lui-même croyait perdue. Cette »fantaisie monstrueuse" met aux prises un gosse, une petite fille qui se cache dans un miroir et un valet qui actionne une horloge, le temps pouvant ainsi passer plus ou moins vite, avec quatre monstres, une licorne, un lion, un aigle et un singe (le rôle de Dubillard), sortes de vampires, devant boire du sang humain, une fois tous les sept ans. Pour échapper au triste destin d’être bu, le gosse va séduire les monstres avec une machine à attraper les étoiles. Lewis Carroll n’est pas loin. Sous cette naïveté apparente, les mots éclairent, comme à travers le prisme d’une lanterne magique, notre propre folie. Avec ces monstres, l’auteur nous mène au royaume du délire organisé ou de la raison désordonnée. Les monstres foisonnent, particulièrement au théâtre où c’est bien connu, ils deviennent sacrés. Ces bouffons fantastiques sont des miroirs grotesques de notre société et de nous-mêmes. Ils maintiennent un état de grande enfance. Rien d’étonnant donc que ce soit un enfant qui les affronte. A travers ce gosse, qui n’a d’ailleurs aucun prénom, l’écrivain nous questionne sur l’identité. L’histoire même d’Il ne faut pas boire son prochain, conte sauvé de l’oubli, est une belle parabole de l’œuvre de Dubillard, un écrivain de l’absence.
Il ne faut pas boire son prochain
Roland Dubillard
Le Manteau d’Arlequin
Gallimard
124 pages, 65 FF
Théâtre Fantaisie monstrueuse
juin 1998 | Le Matricule des Anges n°23
| par
Laurence Cazaux
Un livre
Fantaisie monstrueuse
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°23
, juin 1998.