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Théâtre Eduardo Manet, le pouvoir en question

juin 1998 | Le Matricule des Anges n°23 | par Maïa Bouteillet

Rencontre avec le plus parisien des écrivains cubains à l’occasion de la parution de deux nouvelles pièces, autour du thème du pouvoir.

Viva Verdi ; Mare nostrum

Une banale erreur d’état civil laisse planer le doute sur l’âge d’Eduardo Manet. Avec le temps, l’homme qui a raconté cette anecdote dans son roman L’Ile du Lézard vert (Flammarion, Goncourt des lycéens 1993) cultive le mystère avec une coquetterie toute latino-américaine. Pour présenter rapidement cet auteur prolixe (une vingtaine de pièces et près de dix romans), disons qu’il est né dans les années 30, à Cuba, et qu’il a d’abord exercé la même profession que son père, journaliste à La Havane, avant de partir étudier le théâtre et le cinéma en Europe. En France, il travaille comme acteur et mime aux côtés de Jacques Lecoq durant plusieurs années. Il rêve déjà d’écrire et la dictature de Batista, qui tient alors Cuba en coupe réglée, ne l’incite guère à rentrer. Ce n’est qu’après la révolution castriste (1959) qu’il revient sur son sol natal, à l’invitation du nouveau pouvoir, pour diriger le Théâtre national de la capitale. Il quitte à nouveau l’île en 1968, au moment de l’entrée des chars russes à Prague, pour différend idéologique avec Fidel. Peu de temps après, Roger Blin monte sa première pièce à Paris où il est installé depuis. Pourtant, tout au long de son œuvre, c’est l’histoire mouvementée de son pays qu’il ne cesse d’évoquer. De facture extrêmement différente, Viva Verdi, fresque historico-politique sur l’unité italienne, et Mare Nostrum, comédie futuriste, n’échappent pas à la règle.

Comment se fait-il que vous écriviez en français depuis le début ?
La première fois que j’ai quitté mon pays, dans les années 50, la situation culturelle était très mauvaise. Presque tous les écrivains choisissaient l’exil, moi-même je voulais être romancier, j’ai donc décidé de partir. Et parce que je ne voulais plus retourner à Cuba, j’ai commencé à écrire dans une langue étrangère. D’abord des poèmes en anglais puisque c’est la langue qui me venait le plus spontanément, puis j’ai essayé l’italien, finalement c’est une nouvelle que j’ai écrite en français qui a été publiée. A partir de ce moment-là, j’ai choisi cette langue et je l’ai gardée. D’autant plus que la condition des auteurs dramatiques est très dure en Amérique Latine. D’ailleurs je ne figure jamais dans les anthologies des écrivains latino-américains, je suis considéré comme auteur français.
Cela modifierait-il votre œuvre de manière significative si vous écriviez en espagnol ?
Une Américaine, qui poursuit actuellement un travail de recherche sur mon œuvre dramatique, explique dans son étude que je peux écrire en chinois, en russe ou dans n’importe quelle autre langue, je reste finalement un auteur latino-américain par mon inspiration. Je crois que c’est vrai : on peut écrire dans une autre langue, cela ne change rien à ce que l’on est au fond. Et ce qui importe c’est l’enfance. Tout vient de là. J’ai vécu mes premières années à Cuba et ma langue maternelle reste l’espagnol. Finalement je n’ai pas vraiment quitté mon pays. Je suis constamment en relation avec des Cubains, avec des gens de l’exil ou avec ceux qui viennent faire des études en France. Ils sont de plus en plus nombreux à choisir de rester là-bas malgré leur désaccord avec le pouvoir. Aujourd’hui leur préoccupation majeure est de savoir ce qu’il se passera après la disparition de Fidel Castro. Beaucoup craignent que Cuba ne tombe sous la domination des Etats-Unis.
C’est une préoccupation que vous partagez ?
Oui mais cela me semble inévitable. Il suffit de voir ce qui se passe dans les pays de l’Est et même ailleurs. Fidel Castro est le dernier dinosaure, le dernier dictateur politique. Aujourd’hui c’est le pouvoir économique qui décide du social et du politique. Quelqu’un comme Bill Gates, avec sa tête de bébé et son grand sourire, a véritablement les moyens de devenir un petit dictateur. Les Etats-Unis ont le pouvoir de l’argent, donc le pouvoir politique. Et tout cela a une influence sur la culture, sur nous, sur le théâtre. Voilà pourquoi j’en parle dans mes pièces. Mare Nostrum, par exemple, s’ouvre après un cataclysme et l’on devine qu’il y a eu une invasion américaine notamment à travers la langue qui est totalement parasitée par les mots anglais. C’est une pièce futuriste, une comédie « philosophique », qui traite de la perte du langage, de la manipulation et de la lutte pour le pouvoir.
Vos deux pièces, dans des genres très différents, traitent de cette question finalement.
Je suis né dans un pays qui n’a presque connu que la dictature. Pour moi le théâtre doit être politique, l’auteur doit amener une réflexion. Je revendique une position d’auteur de gauche. Ce n’est pas parce que les pouvoirs communistes ont failli qu’il faut pour autant jeter Brecht à la poubelle. J’ai eu la chance d’aller au Berliner Ensemble du temps de Brecht et je crois qu’il avait véritablement le génie d’intéresser le public avec des pièces à contenu politique. J’ai écrit Viva Verdi en hommage au théâtre épique de Brecht. Aujourd’hui malheureusement l’idée même de politique fait reculer tout le monde.
Votre théâtre présente des didascalies extrêmement nombreuses et précises, quelle place laissez-vous au metteur en scène ?
Roger Blin respectait mes didascalies à la lettre et pourtant, au final, c’était du Blin. Si Les Nonnes ont eu un tel succès c’est grâce à lui. Dans mes indications je donne ma propre vision de la mise en scène mais libre au metteur en scène de changer. Il y a d’ailleurs eu des adaptations très diverses de mes pièces. Les Nonnes, encore une fois, a été montée par un jeune créateur belge qui a carrément changé les rôles d’hommes en femmes et le résultat était prodigieux ! C’est au metteur en scène de trouver sa liberté. Et puis, je viens du théâtre dynamique, du mime, et les didascalies me permettent de donner le mouvement. Elles sont là aussi pour le lecteur.

Viva Verdi
suivi de Mare Nostrum
Eduardo Manet

Actes Sud-Papiers
155 pages, 108 FF

Eduardo Manet, le pouvoir en question Par Maïa Bouteillet
Le Matricule des Anges n°23 , juin 1998.
LMDA PDF n°23
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