L’idéal pour tout premier recueil est un poème inaugural dans lequel toute l’œuvre à venir puisse un jour se reconnaître. Un prélude en somme qui annonce les couleurs et sache unir la qualité d’une écriture à une perception de la tâche à mener. Romain Graziani n’affiche pas seulement une prétention risquée en nommant son premier livre Amor fati, il prend date et prouve que la poésie se renouvelle quand un auteur est déjà capable d’affirmer sa pensée. « L’appel est-il des cimes ou de la terre ? » interroge ce jeune poète de vingt-six ans qui se voit consacrer dès le début par un éditeur généralement distant vis-à-vis de la promotion de la jeune génération. Et de poursuivre cette question dans lequel l’être et l’écriture prennent forme : « Nous sommes passés par tant de pactes, l’éclair latent devait jaillir. Je tiens à te prendre, Beauté, honorant tout entier ma prise ; comme tu mourrais de n’être pas rencontrée ! Comment te célébrer hors de tes terres ?/ O que j’explore en toi, que mon approche épouse ».
Le désir engendre un voyage qui va prendre au cours de ce recueil autant l’allure de poèmes en prose ou en vers que celui d’un carnet de route -journal d’une vie repassée au filtre de l’image et de l’aphorisme. On peut citer quelques influences, mais le terme est mal choisi quand une écriture possède ainsi une telle indépendance. Par sa langue adjectivée, ses tournures grammaticales voisines des pensées musicales nietzschéennes, Graziani nous fait penser parfois à René Char. C’est dire cette production poétique ancrée dans une réflexion philosophique qui ne l’absorbe pas mais dont elle semble surgir.
Lyrique en certains aspects par ses exhortations, ses appels, ses visions (« Sans hâte avance une ombre, vers les draps de son hôte,/ La nuit monte et s’étend doucement éclairée »), la poésie de Romain Graziani est aussi proche de la peinture quand elle capte un paysage, en cherche l’enseignement secret qui n’apparaît qu’au terme du poème qui l’explore : « Il est ici question du lieu de rencontre entre la fin du rivage et les premières vagues sorties de mer la recouvrir, question d’une frontière indécise et mêlée, seuil tendu par deux prétentions frontales : marine et terrestre, justement là où termine leur pouvoir. » Et si ces descriptions inspirées constituent souvent le point de départ du poème, l’auteur ne s’absente pas de ses impressions, confiant au détour d’une contemplation sa propre aventure, comme dans Front d’ondes : « Je suis le rivage de ta perte, l’aveu tangible d’un abandon promis à tous les elixirs./ Quel odorant sourire vient bénir ce ravage, ô plus fléchi encore, l’intérieur de tes ailes, je fends ta nudité, mon arche te fusèle./ Gisement de rubis, blessure écarlate des lèvres rieuses, cruellement je sonde en vous, ma caresse ouvre votre crue, vive fulguration sur tes sentes de lave. »
Entre les croquis de voyage et l’abandon au pouvoir immédiat de la parole poétique, Romain Graziani crée son offrande musicale dont le titre se justifie pleinement tant ce livre est l’acceptation du destin et de l’amour avec lequel il doit se déployer. Aussi bien rythmée qu’une suite symphonique, cette poésie impressionne par son architecture qui tantôt ressemble à l’élan d’un clocher gothique, tantôt à l’aspect massif des temples grecs, monuments qui nous incitent par leur force à aller de l’avant, à la rencontre de la beauté justement.
Amor fati
Romain Graziani
José Corti
72 pages, 75 FF
Poésie La beauté de Graziani
juin 1998 | Le Matricule des Anges n°23
| par
Marc Blanchet
Plus qu’un premier recueil de poèmes convaincant, Amor fati, aussi rythmé qu’une suite symphonique, impressionne par son architecture.
Un livre
La beauté de Graziani
Par
Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°23
, juin 1998.