La rentrée littéraire est donc une rentrée générationnelle. Notez ce nouveau terme de critique littéraire, vous allez le voir fleurir un peu partout. Partant du fait qu’il est plus facile de parler des livres de l’extérieur (nombre de pages, âge et sexe de l’auteur, thèmes abordés, etc.) que de l’intérieur (pensée, style) l’hebdomadaire de la profession Livres Hebdo mâche le travail des critiques : dès le 26 juin dernier, dans ses pages, Livres Hebdo annonçait le succès du livre de Michel Houellebecq, Les Particules élémentaires (Flammarion) et celui de Virginie Despentes (Les Jolies Choses)qui vient de signer chez Grasset. Tous les deux sont donc les représentants de la nouvelle génération, rejoints par Jean-Christophe Rufin qui persiste dans le domaine du roman historique après L’Abyssin en proposant Sauver Ispahan (Gallimard). Il n’y a pas beaucoup de similitudes dans les œuvres de ces trois-là. Même leur âge respectif ne permet pas de les rassembler. Mais qu’importe, puisque la rentrée est générationelle et puisque les adeptes du marketing n’ont que le mot de génération à la bouche, on a, comme le regrette Michel Houellebecq dans Libération du 27/08, triché sur l’âge de l’auteur d’Extension du domaine de la lutte.
Parmi les autres tendances relevées à juste titre par Livres hebdo, un retour au roman historique dont la mode s’expliquerait plus par le prix Goncourt de l’an dernier (c’était qui déjà ?) que par le fait que nous atteignons la fin du siècle. Ainsi, la rentrée littéraire serait pensée par les grands éditeurs en fonction des seuls critères commerciaux ? On n’ose le croire.
Une enquête sur la pratique culturelle des Français risque, à cette aune, de servir de boussole aux éditeurs. Réalisée auprès de trois mille personnes par le ministère de la Culture, cette étude révèle que deux tiers des lecteurs sont des lectrices. Conclusion du rédacteur en chef de Livres Hebdo : les femmes écrivains sont sous-représentées dans cette rentrée littéraire (87 femmes pour 230 hommes, paraît-il). Voilà une bonne idée : imposer des quotas littéraires.
On le voit, la rentrée littéraire gomme, chaque année un peu plus, son propre contenu. C’est comme si ce qui présidait à la publication d’un livre n’était plus son texte mais l’âge, le sexe, la couleur des yeux, la généalogie de l’auteur. On s’étonnera aussi des chiffres avancés par l’enquête du ministère de la culture. D’après les prénoms de nos abonnés nous pouvons établir que la parité hommes-femmes de nos lecteurs est respectée : sur 1361 anges, 534 sont des femmes, 520 des hommes, le reste étant composé de bibliothèques ou d’institutions. Mais qu’importe !
La rentrée littéraire entraîne, dès l’été, son lot de promesses, de rendez-vous auxquels on ne se rend pas sans excitation. En vrac, on signalera L’Avenir de Camille Laurens (P.O.L), Méroé d’Olivier Rolin (Seuil), Voix de Linda Lê (Bourgois), La Ligne âpre de Régine Detambel (Bourgois), Cannibale de Didier Daeninckx (Verdier), Le Dragon et la ramure de Dominique Sampiero (Verdier), La Boîte de François Salvaing (Fayard), Sujet Angot de Christine Angot (Fayard), Le Procès de Jean-Marie Le Pen de Mathieu Lindon (P.O.L), Boléro de Jean-Claude Pirotte (La Table Ronde) et, enfin Bienvenue parmi nous de l’ange Eric Holder (Flammarion) dont nous ne vous parlerons pas, éthique oblige. Et puis il y a aussi ces rendez-vous avec des inconnus (que l’on évoquera dans deux ou trois ans comme étant les représentants de quelle génération ?). Et puis, malgré l’ignorance crade de tous les médias, il y a les rendez-vous avec des poètes et des dramaturges, car la poésie et le théâtre, dans le temps qui est le leur, ignorent la frénésie commercialo-médiatique de septembre. On leur en sait gré.
Poches Génération générationnelle
La rentrée littéraire devient de plus en plus rentrée et de moins en moins littéraire. En tout cas dans sa partie immergée. Les oubliés de septembre sont la poésie et le théâtre. Il est vrai qu’on les oublie toute l’année.