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Domaine français L’humide origine

septembre 1998 | Le Matricule des Anges n°24 | par Marc Blanchet

En mêlant souvenirs de pêche et appréhension du monde féminin, Dominique Sampiero restitue à la parole son pouvoir érotique.

La Chambre au milieu des eaux

Il y a des confusions heureuses. Le nouveau texte (appelons cela ainsi dans un premier temps) de Dominique Sampiero nous plonge dès son ouverture dans une ivresse forte, hors de laquelle on a du mal à relever la tête. Si un auteur peut rêver de donner au lecteur le sentiment qu’un livre peut être de la glaise entre ses mains, qu’il soit dit sans solennité que Sampiero y parvient avec La Chambre au milieu des eaux. Cette réussite s’inscrit également dans une continuité : c’est le quatrième ouvrage de l’écrivain qui paraît chez Lettres Vives, après La Fraîche Evidence, Les Pluies battantes et Retour de sang 1.
La Chambre au milieu des eaux offre en effet une confusion liée à l’expérience dont fait part cet écrivain de quarante-cinq ans : celle de la pêche. Mais pas la pêche nostalgique de la petite enfance, les souvenirs simples de cette période ; non, une pêche profonde et noire qui voit dans l’eau des étangs surgir ses propres troubles : « Je pêche dans des étangs noirs et sombres, fermés comme des sexes de femme, quand j’en parle, je ferme les yeux, je retrouve ce qui me traverse, par exemple, l’immobile, cette force humide, profonde, pénétrant jusqu’aux os, son odeur de musc et de vase, de lumières enfouies, quelque chose d’un toucher me dilate, j’ai des gestes de jeune fille envers mes soies, mes larves, le balancement de la canne est un sexe dressé dans le mur de l’air, un fouettement pour l’écarquiller ». Le lecteur a rapidement le souffle coupé, il faut entrer avec prudence dans cette écriture, tant elle éprouve toute compréhension immédiate, tant elle donne un corps larvé à l’entendement et ne veut pas s’en remettre à un sens trop visible.
Le mot expérience n’est pas de trop et l’ensemble de ce texte remarquable va le confirmer : aucune approche des choses n’est valable si elle ne se fait pas dans une ivresse soudaine des sens. En respirant lentement donc, lourdement, le lecteur décrypte ces sensations où nature, féminité et pensée s’épousent, se charment, se noient, s’entre-tuent puis renaissent ensemble pour former dans ce ballet aquatique et érotique le visage d’un livre. « Il y eut un endroit de chair, de nuit profonde, où enfant j’aimais m’enfoncer, lui donner un nom est encore une épreuve. Pour m’y rendre, il me fallait monter sur un esquif bleu, une coque fragile, craquante au moindre de mes pas. Deux rames gisaient à mes flancs comme des corps silencieux Un vieil homme m’avait appris à quitter le monde, à remuer doucement le temps, à rejoindre le point le plus noir au milieu du lac. A faire des gestes simples : relever les plombs, parler seul, longer. C’était une soif entière, un envol à la surface du seuil, glissant mon corps vers un secret, très loin derrière mes bras. (…) Mon buste et mon souffle prenaient le rythme des avirons. Il fallait avancer sans bruit, approcher. Puis cerner le lieu possible. Les chaînes descendaient comme des bijoux, des colliers dans la vase. Tous les actes respiraient »
C’est là tout le bonheur de ce texte (appelons cela dans un second temps poésie) de Sampiero : insuffler -c’est bien de cela qu’il s’agit- une clarté dans ce lien entre l’enfant devenu homme et ce lieu d’expérience où les sensations de la pêche ressemblent à celles du sexe comme à celle de la parole. Cette clarté s’immisce entre les lignes jusqu’à devenir les lignes elles-mêmes : là aussi, ligne fait penser à la gaule (et la gaule au sexe !). A la confusion des sensations va succéder celle des souvenirs et de leur ordonnance dans le temps jusqu’à dessiner le portrait d’un homme plus âgé. En témoigne cette scène entre le narrateur à l’âge de quinze ans et une jeune femme de vingt-six : « Je suis en elle, je ne sais pas trop comment. Mon têtard est dans son œuf. Il va éclore. Des eaux douces me recouvrent. Je pars dans la rivière. Elle laisse un soleil descendre sur ma peau. Je crie dans ses cheveux des mots de miel. Elle s’écarte de mon ventre, caresse toute ma longueur. Je lui donne, une autre fois, mon sexe, doucement, comme un bonbon dans sa bouche. Je suis un flotteur dans la houle de ses lèvres. » Et là, Sampiero montre bien que dans cette confusion des souvenirs et des sensations il reste maître d’œuvre et nullement dupe de ses évocations. Le lecteur happé, pris à l’hameçon, frétille peut-être. Qu’il se rassure : il va être remis à l’eau. Quand l’air manque pour le poisson, la fluidité de l’eau reste la condition première de sa survie, reste la première et l’ultime sensation. Cette fraîcheur, cette clarté entrevues par instants se révèlent dans un élan lyrique final d’une force exceptionnelle qui a les vertus des mélodies qui, dans un poème symphonique, délivrent du conditionnement imposé au préalable par le compositeur. On se réjouit d’avoir été les otages de cette écriture qui au détour d’un chemin nous donne à voir la lumière : « L’enfance apprivoise nos mains. Les fils, les hameçons et les plombs minuscules s’échappent du pincement des dents. Tout un univers futile, inutile, borde la somptuosité des gestes simples. Aucune prière, aucune présence n’eût été plus fervente dans l’intuition de la lumière. C’est ce dieu vide, le halètement des carpes. La sucée gluante des brèmes. Le rougeoiement des rotengles. Le feu des brochets. Un dieu au sang froid, au corps tiède, apparaissant, disparaissant, sans cesse. Pour laisser toute place au désir. Et jeter le sang plus loin dans la soif ». Voilà comment l’eau devient de l’air pur ! Maintenant que le lecteur comme l’auteur y ont goûté, qui songerait à en sortir ? Les dernières pages de La Chambre au milieu des eaux se déroulent alors comme une boucle musicale dont on ne voudrait en effet pour rien au monde qu’elle prenne fin. « On ne sait pas. On invente du temps. On creuse la surface. On écrit de faux livres pour de faux lecteurs. Pour les faire tomber en eux-mêmes. Parlant ainsi par saccades, on secoue la laideur. L’obligeant à poser ses pieds sur le sol. La forçant à pleurer, à saigner. A plier enfin. »

1Notons d’ores et déjà la parution pour cette rentrée d’un nouveau récit chez Verdier : Le Dragon et la ramure

Dominique Sampiero
La Chambre au milieu des eaux

Lettres Vives
64 pages, 79 FF

L’humide origine Par Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°24 , septembre 1998.
LMDA PDF n°24
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